L’histoire peu connue de l’aide apportée par Cuba aux victimes de Tchernobyl, où des milliers d’enfants victimes du désastre nucléaire sont amenés à l’île caribéenne pour être soignés.
Cuba ne manque pas d’histoires à raconter sur l’époque de la Guerre Froide, dont elle a été à la fois victime, témoin et participante active. Cuba Coopération partage une des ces histoires, peu connue mondialement : l’aide apportée par Cuba aux Soviétiques après la catastrophe de Tchernobyl, où des milliers d’enfants victimes du désastre nucléaire sont amenés à l’île caribéenne pour être soignés.
L’article surgit premièrement dans Cubadebate en réponse au succès de l’émission HBO sur la catastrophe en Russie, série dans laquelle le rôle de Cuba, bien sûr, n’est pas relayé. Cuba Coopération revient donc sur cette histoire pour mettre en avant l’héroïsme de Cuba à un moment où, malgré la menace d’une crise économique profonde, le pays répond à ses responsabilités « héritées de l’internationalisme prolétaire » pour aider son plus proche allié du moment, l’Union Soviétique.
Le terrible accident nucléaire survenu à Tchernobyl le 26 avril 1986 a affecté de très nombreux enfants ukrainiens, russes et biélorusses. En 2011, plus de 25 000 petits patients avaient été soignés à Cuba depuis l’année 1990, les autorités cubaines assurant officiellement tous les frais médicaux et de logement. Dans un contexte d’intérêt pour Tchernobyl suscité par la série de HBO, chaîne de télévision payante américaine, Cuba s’apprête à rééditer ce programme d’aide médicale à l’intention des enfants ukrainiens.
Les installations à Tarará
Les plages de Tarará représentent tout ce que l’on peut attendre des Caraïbes cubaines. Une mer chaude d’un bleu turquoise, des palmiers idylliques sur une plage de sable fin de couleur ocre, une douce brise. Quelques petites maisons basses avec jardin sont ordonnées en un parfait quadrillage à moins de 30 kilomètres à l’est de La Havane. Au centre, un bâtiment rudimentaire à la peinture rougeâtre rongée par le salpêtre dissimule l’un des épisodes les moins connus du désastre de Tchernobyl.
Construit dans les années 50, le quartier résidentiel de Tarará a servi de lieu de villégiature pour l’élite bourgeoise et militaire du pays durant la dictature de Fulgencio Batista ; il est ensuite devenu un gigantesque centre sportif pour les enfants de l’Organisation de pionniers José Martí. Mais, à partir du 29 mars 1990, cette station balnéaire paradisiaque a abrité le plus grand programme sanitaire pour les enfants affectés par l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl survenu quatre ans auparavant.
Entre 1990 et 2011, l’hôpital pédiatrique de Tarará a soigné plus de 25 000 enfants victimes des radiations en Ukraine, en Russie et en Biélorussie, la majorité d’entre eux atteints de cancer, de malformations, d’atrophie musculaire, de problèmes dermatologiques et stomacaux, nombre d’entre eux souffrant d’un haut niveau de stress post-traumatique pour avoir vécu l’horreur nucléaire.
Outre les installations cliniques pour les malades – qui ont fini par regrouper deux hôpitaux et une vingtaine de domaines médicaux dans les catégories professionnelles – la petite ville disposait d’un théâtre, de plusieurs écoles et d’espaces de loisirs qui s’étendaient sur près de deux kilomètres le long de plages cristallines.
Dans le documentaire « Tchernobyl parmi nous », l’ancien consul cubain, Sergio López, raconte : « Fidel m’a dit "Je ne veux pas que tu ailles voir la presse, ni que la presse prenne contact avec le consulat. Nous remplissons un devoir élémentaire envers le peuple soviétique, envers un peuple frère. Nous ne le faisons pas pour la publicité " ».
Presque trente ans après que Fidel Castro lui-même a accueilli, au pied de la passerelle de l’avion, un premier contingent de 139 enfants, un accord récent signé entre le ministère de la Santé de Cuba et le gouvernement ukrainien ouvre la porte à une éventuelle réédition du programme correspondant à l’intérêt suscité par la série de HBO sur Tchernobyl.
L’Agence d’information cubaine a annoncé qu’un nouveau groupe de 50 enfants ukrainiens, nombre d’entre eux fils et filles de ceux qui, au début des années 90, ont vécu la même expérience dans la nation caribéenne, viendront à La Havane pour soigner leurs pathologies.
La plage anti-radiations
Le 26 avril 1986 au matin, une série d’erreurs fatales ont frappé le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire Vladimir-Illitch-Lénine, dont le cœur du réacteur est resté à l’air libre, rejetant une grande quantité de matière radioactive au milieu de plusieurs explosions et d’un violent incendie qui a duré dix jours. Pripiat, une ville de 50 000 habitants construite pour loger les travailleurs de la centrale et leur famille, n’a été évacuée que 36 heures après l’explosion.
Des centaines de milliers d’adultes et d’enfants sont restés exposés à la contamination. Beaucoup parmi les plus jeunes ont ensuite développé des cancers de la thyroïde et des leucémies, probablement dus à l’inhalation ou à l’ingestion d’iode 131 ou de césium 173.
Les patients étaient généralement « atteints de plus d’une maladie chronique », accompagnées d’altérations psychologiques sévères, selon une étude réalisée par les médecins cubains Julio Medina, coordonnateur du Programme pendant des années, et Omar García, chercheur du Centre de protection et d’hygiène des radiations.
C’est ainsi qu’ils ont réparti les malades en quatre groupes, depuis les plus gravement atteints, qui pouvaient séjourner des mois dans l’île, jusqu’au « relativement sains » du groupe IV qui y demeuraient entre 45 et 60 jours.
Pendant des années, les plages de Tarará se sont remplies de fillettes rubicondes et de garçons au teint pâle que les Havanais se sont habitués à voir se dorer au soleil sur la plage en dehors de la saison estivale. Bronzer et plonger dans l’eau de mer étaient un élément complémentaire du traitement à base de mélagénine et de pilotrophine qu’on leur administrait pour améliorer la pigmentation de leur peau et la croissance de leurs cheveux.
« Je peux dire, sans exagérer, que Cuba a été notre salut », dit la jeune mère Natacha Salimova tandis qu’elle berce dans une poussette son enfant atteint de paralysie cérébrale, dans un article de l’agence états-unienne Associated Press de 1999, dans lequel on peut voir la clinique cubaine en fonctionnement.
Un miracle en Période spéciale
Trois mois avant l’arrivée des premiers enfants, Fidel Castro prévenait, depuis le théâtre Karl-Marx de La Havane, de la survenue de temps difficiles. La chute du Mur de Berlin était le prélude de l’implosion imminente du bloc soviétique. Les problèmes en Europe orientale pourraient être « d’une telle gravité que notre pays devrait affronter une situation de ravitaillement particulièrement difficile » a dit Castro dès janvier 1990.
C’était le prologue de la Période spéciale dans laquelle l’île a été plongée durant plus de cinq ans, caractérisée par la pénurie et les coupures de courant. Malgré la disparition du camp socialiste européen, Cuba a souhaité poursuivre le programme des enfants de Tchernobyl.
« Bien que Cuba ait traversé des moments économiquement difficiles, notre État a continué à prodiguer aux enfants des soins spécialisés, pour respecter un engagement de solidarité », a déclaré en 2017 le docteur Medina, lors d’une interview pour la chaîne de télévision multinationale Telesur au sujet du remarquable défi de continuer à accepter des patients dans ces années-là.
Alors même que le programme est officiellement terminé, des vols médicaux dans l’île ont été maintenus pour des groupes de patients ukrainiens et russes. Depuis 2016, la majorité a été traitée dans Clinique internationale de Siboney, à l’ouest de la capitale cubaine. Celle-ci sera probablement le nouveau foyer des enfants de Tchernobyl à La Havane.
Ils ne seront pas des étrangers pour la population locale. Bien avant que HBO redécouvre l’histoire de Tchernobyl pour un public mondial, n’importe quel Cubain savait déjà où situer la centrale nucléaire sur la carte et expliquer, parfois de lui-même, les conséquences de ce qui s’est produit là-bas. Un héritage de l’internationalisme prolétarien.
L'histoire vécue de Tchernobyl à Cuba à l'écran : "Un Traductor"Pour en savoir plus sur cet épisode de l'histoire cubaine, Cubanía vous recommande le film "Un Traductor" de 2018. Ce film raconte l'histoire vraie d'un professeur de russe de l'Université de La Havane qui est envoyé à l'hôpital comme interprète pour les enfants victimes de Tchernobyl arrivés à Cuba de l'URSS après le désastre. Le film est un témoignage d'une époque bouleversante pour Cuba, à travers l’histoire personnelle d’un homme confronté à une catastrophe historique au début d’une crise économique sans précédent à Cuba.
Site web cubain, voix du Cercle des journalistes cubains contre le terrorisme qui propose un espace d’information et d’échange sur Cuba, notamment des témathiques politiques mais aussi d’autres informations sur la quotidiannité et la culture cubaines. Voir site internet : http://www.cubadebate.cu