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Yasser Chichá, devenir Babalawo

« Père du Secret » et prêtre de la Santería à Cuba

Auteur:
Stéphanie de Silguy
Date de publication:
23 avril 2019

Yasser Chichá nous raconte tout ce qu'il faut savoir sur la Santería, la religion afro-cubaine la plus pratiquée à Cuba. Lui-même « Babalawo » ou prêtre de Santería, il est baigné dans cette religion qui est pour lui, comme pour la plupart des Cubains qui la pratiquent, une histoire de famille.

Chez les Chichá, la religion afro-cubaine est une histoire de famille. Après des études de langues à l'Université de la Havane, Yasser, 35 ans, est devenu Babalawo, soit prêtre dans la religion afro-cubaine. Une philosophie de vie qu'il concilie avec son métier de guide touristique. Il nous raconte.

Casque vissé sur la tête, Yasser Chichá gare son scooter électrique sans perturber le chant des colibris. Avec son grand sourire et ses yeux rieurs, il passe la porte de son « bureau ». À l'extérieur de cette maison verte aux étroits escaliers en fer forgé de la rue Melón, à Luyanó, quartier tranquille de la Havane, aucun signe ne laisse penser qu'au dernier étage, se trouve un temple. « Je travaille ici avec mon parrain qui est aussi mon beau-frère », explique Yasser tout en enfilant sa chasuble africaine. « La religion afro-cubaine chez nous c'est une histoire de famille. Il y avait des prêtres avant moi et j'ai souhaité conserver cet héritage ».

Assis par terre, entouré d'objets de culte et des principales représentations des divinités africaines, Changó, Ochún, Yemayá, Obatalá et Oyá, ce jeune Babalawo de 35 ans est intarissable. « La religion afro-cubaine se compose d'un tronc commun composé de différentes branches : la Santería, Palomonte, Ifá et Abakuá. Elle provient des esclaves venus de la côte ouest du Nigeria. Au départ ils ne pratiquaient pas la même religion mais leur cohabitation à Cuba a donné naissance à ce mélange ». Dans le temple de Yasser c'est la Santería et Ifá qui prédominent. 

Avant d'être matière on est énergie. On choisit son destin avant de naître. Notre religion s'inspire du comportement des animaux, des minéraux, de la nature en générale.

Des cérémonies secrètes, un an vêtu de blanc

Ne devient pas prêtre qui veut.  « Cela demande beaucoup de temps. Il faut étudier la théologie, la métaphysique, la psychologie. J'ai plus de 300 gigas de données dans mon ordinateur ! ». Devant lui, une pile de 16 livres à la couverture usée. A côté, Koncolo, Itotele et Iyá, les trois tambours dont la maîtrise nécessite beaucoup de pratique. Mais ce qui demande le plus d'énergie c'est l'apprentissage du yoruba, la langue du Nigéria. Faute d'école à Cuba, « il faut l'apprendre tout seul. C'est très difficile, surtout à parler car c'est très chantant ». C'est pourtant en yoruba qu'il prie.

Yasser a été « initié » le 25 mai 2002 après une semaine, aux activités secrètes, passée dans une pièce de ce qui est aujourd'hui son temple. Pendant un an, Yasser s'est ensuite vêtu d'habits blancs et a été interdit de tout contact physique. « Je suis passé directement prêtre car c'était dans mon destin. J'ai alors commencé 4 ans d'étude ». Un destin révélé suite à une consultation. Ouvertes à tous, elles permettent de donner des conseils. Elles se déroulent selon un rituel très précis.

Entre les mains de Yasser, un étrange collier, l'opele. Composé de huit pierres, il peut être fabriqué en différents matériaux : chair de coco, or, argent, coquillage. « Ce collier donne des conseils. C'est comme quand vous allez chez le médecin et que vous avez mal à la tête. Notre rôle est de donner des recettes pour soulager. On n'est pas là pour faire des miracles », explique-t-il en le lançant devant lui sur atepon, un plateau en bois recouvert d'ashé, un mélange de poussières de la terre : minéraux, plantes, animaux, végétaux. « Mais pas de reste d'humains. Cela est interdit par notre religion. »

Devenu prêtre le 23 juin 2016, Yasser est encore beaucoup aidé par son parrain. Si son frère de 19 ans est encore trop jeune, sa femme et sa sœur l'assistent en permanence. « Elles ne peuvent pas devenir Babalawo mais connaissent davantage d'histoires que moi ! ».

Une religion liée à l'histoire de Cuba

Pour l'instant Yasser Chichà est avant tout un guide touristique parlant couramment le français et l'anglais. Étudiant studieux, il préférait les livres aux après-midis à la plage. Aujourd'hui, cet amoureux de Trinidad profite de son métier pour échanger et apprendre sur sa religion. « Je me déplace beaucoup. En 4 mois j'ai parcouru plus de 12.000 kilomètres. Cela me permet de voir comment la même religion est pratiquée de manière différente selon la ville ».

Cet engouement des Cubains pour la religion afro-cubaine n'est pas une mode ou un simple passe-temps. Pratiquée pendant de nombreuses années en cachette, elle s'inscrit dans l'histoire et la tradition orale du pays. « Il ne faut pas oublier que le Président Prio, même s'il n'est pas resté longtemps, a été le premier chef d’État cubain consacré comme prêtre de la religion afro-cubaine. » Et sous Batista ? «  Lui était toujours accompagné d'un prêtre afro-cubain qui le conseillait ! ».  Si Fidel Castro a déclaré la « révolution laïque », la religion a fini par être acceptée petit à petit. « Aujourd'hui, on est fier et heureux de dire : « je suis religieux ». On se cache plus. La religion afro-cubaine occupe une place très importante dans l'histoire de Cuba. C'est pour cela que je veux la transmettre ».

Un babalawo aux multiples facettes

Autour de son cou et de son poignet, des bracelets aux boules vertes et jaunes, couleur d'Orula, le dieu divinatoire, qui permet aux prêtres de s'identifier entre eux. « Le vert symbolise la feuille vivante, le début de la vie. Le jaune, la feuille qui tombe à l'automne et qui meurt. C'est un cycle.»  Ce Babalawo, père d'un fils de 13 ans et d'une fille de 4 ans, pratique sa religion comme une philosophie de vie, un guide de comportement. «  Si un voleur me demande de sacrifier un taureau car il ne veut pas que la police le voit, évidemment je vais refuser. Et comme prêtre je vais l'aider à trouver son chemin, voleur ce n'est pas un chemin. Le comportement de nos fidèles dans la vie quotidienne est primordial. Je peux aussi donner des conseils aux couples, faire le psychologue. »

Malgré le coût de l'initiation, entre 1500 et 2000 CUC, l'engouement des Cubains pour la religion afro-cubaine ne cesse de grandir. « C'est un refuge pour la population ». Aujourd'hui, Yasser vient ici quand il a le temps, les prises de rendez-vous pour les consultations se font par téléphone. Il habite dans le quartier d'Alta Habana à un quart d'heure de son Temple. À terme, il souhaite acheter une maison à côté de son Temple et surtout arrêter son travail de guide touristique pour se consacrer à plein temps à son rôle de Babalawo.

Recommandés par un Babalawo...

Un restaurant au service irréprochable. Déjeuner chez « Doña Alicia » situé au coin de Carlos III et Belascoain. « Leur piccadillo à la habanera avec des olives, accompagné d'une sauce tomate aux oignons et à l'ail est incroyable. Le service et l'ambiance sont parfaits. C'est très important pour moi. C'est mon côté Français ! »     

Un moment magique « Le 24 décembre à Remedios, une ville de la province de Villa Clara. Son carnaval, son feu d'artifice sont extraordinaire. Il faut y aller. C'est magnifique. » 


Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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