Irena et Adriana, faire renaitre l'art des vitraux
L’art du détail et la renaissance de la créativité à Vitria
Auteur:
Bryan Campbell
Date de publication / actualisation:
12 avril 2020
Avec la tranquillité et la simplicité typique de ceux qui semblent ignorer l’importance de leur travail, Adriana et Irena font renaître l’ancienne tradition et l’art des vitraux dans les rues animées de la Vieille Havane.
Elles fixent leur attention sur la sauvegarde du patrimoine historique et créent un commerce dans un pays qui cherche encore la définition de son destin. On est alors surpris de leurs acquis et leur identité unique : artistes, entrepreneuses à succès, jeunes talentueuses et actives dans un domaine alternatif qui anime la ville et nourrit d'espoirs sur l’avenir de l’île. Cubanía les a rencontré dans son atelier à la Vieille Havane.
Débuts et tradition de l’art des vitraux à Cuba
La conversation avec les fondatrices de Vitria prend la tournure d' un cours d’histoire sur les vitraux et les spécificités de l’industrie où elles s’insèrent. Elle nous permet de connaître les complexités de l’entrepreneuriat social à Cuba et de partager l’enthousiasme de deux jeunes femmes. Dans une Havane qui cherche à se réinventer et qui parie pour la restauration de structures historiques, peut-être pour revivre la gloire et l’imaginaire du progrès économique colonial, Vitria s’embarque avec passion dans la sauvegarde d’un métier qui a pour but d’embellir et de raconter des histoires.
Mais derrière leur passion se cache la grande influence du hasard sur leur décision de se consacrer à ce métier. Irena et Adriana, fondatrices de cette petite entreprise coopérative, ont opté, à l’École Atelier de La Havane dirigée par le Bureau de l’historien de la ville, pour le métier des verres. « J’ai eu toujours du mal à dessiner. Les muraux et les verres attiraient mon attention. Pour me consacrer à l’art mural, je devais peindre. Alors, j’ai opté pour les verres. »
Le Bureau de l'HistorienL'Oficina del Historiador est une institution qui, au-delà de la conservation du patrimoine, dynamise la Vieille Havane grâce à un ensemble de projets sociaux, urbanistiques et entrepreneuriaux. Dirigé depuis 1967 par le célèbre historien cubain, Eusebio Leal (1942 - 2020), l'importance du Bureau de l'Historien devient primordial à partir de 1982 - l'année d'inscription de la ville de La Havane au Patrimoine Mondial de l'Humanité de l'UNESCO et le début de la restauration de la vieille ville. Au cours des années, Eusebio Leal - grâce à son travail important - a obtenu de Fidel Castro une certaine autonomie qui, conjugué à un extrême talent, lui permit de transformer l'Oficina del Historiador en véritable entreprise : hôtels, boutiques, restaurants, musées, entreprises de construction et restauration qu’il créa et gère depuis, pratiquement seul, même si, il y a quelques années, son pouvoir, particulièrement financier, lui a été sensiblement diminué.
En les entendant parler de leur rencontre, de leurs motivations et des premiers pas faits dans le monde de la restauration, on suit les leçons d’un couple qui reste soudé, à savoir Cuba et les vitraux. Il y a des points communs entre les vitraux des grandes cathédrales européennes du XIIe siècle et ceux qui ont connu un grand essor à Cuba, et qui font aujourd’hui partie intégrante du paysage urbain des centres patrimoniaux.
Des églises, des centres de culte, des anciennes demeures et des édifices publiques des villes cubaines font étalage en général de belles décorations. « Les vitraux cadraient bien avec le plan d’aménagement et le climat de villes comme La Havane. »
Malgré l’éclectisme caractérisant l’urbanisme cubain, l’influence de la modernité étas-unienne des années 1940 et le changement de priorités qu’a permis la Révolution cubaine quelques années plus tard, les vitraux n’ont pas disparu de l’architecture créole. Même si l’on avait déjà aperçu des changements aussi bien dans leur utilisation que dans les techniques utilisées, la Révolution a marqué un tournant (…) on a créé l’atelier d’où provient Rosa María de la Terga, principale animatrice ces dernières années de l’art des vitraux (…)
L’entreprise sociale et le secteur privé dans la sauvegarde du patrimoine culturel
Le désir de sauvegarder la valeur patrimoniale des villes cubaines, l’apparition de nouvelles voies dans la société et les difficultés économiques rencontrées, semblaient être le cadre idéal pour incorporer le jeune secteur privé au travail de restauration de l’État. C’était au moins le critère d’Adriana et d’Irena au moment de monter leur affaire. « Dans un premier temps, notre aspiration était celle de nous impliquer davantage dans le travail du Bureau de l’historien. Or, jusqu’à présent, nous n’avons participé qu’à deux projets et notre travail vise notamment les particuliers et le secteur privé. »
Malgré l'engouement et les incroyables potentialités d’associations entre la société civile et l’État, la réalité s’interpose : la bureaucratisation des processus et le manque de communication ont parfois le dernier mot. « Les liens avec le Bureau de l’historien peuvent être renforcés davantage. »
Malgré ces circonstances adverses, Vitria a fait preuve de succès ces dernières années, passant d’une simple idée à une affaire rentable. Les deux jeunes femmes remémorent aujourd’hui leurs débuts, lorsqu’elles attendaient des permis, lorsqu’elles devaient faire face à l’incertitude de payer des impôts ou lorsqu’elles partageaient un espace de travail avec d’autres.
En dépit de ces difficultés, du coût des matériaux nécessaires et des problèmes rencontrés pour les obtenir, elles ont réussi à accéder à de nouveaux espaces de promotion : par exemple, une expérience sur la plateforme Airbnb, plusieurs interviews accordées aux médias numériques du journalisme indépendant cubain et enfin, l'intégration dans les mécanismes de coopération avec le Bureau de l’historien de La Havane. C'est par ce dernier partenariat qu'elles ont pu recevoir d’importants financements pour le développement de leur travail.
L’objectif à atteindre est clair pour Adriana et Irena : faire en sorte qu’un nombre toujours croissant de personnes comprennent la valeur culturelle des vitraux, faire connaître la fonction sociale de leur affaire et contribuer à créer de la beauté et du bien-être. « Nous avons pu constater qu’il y a des clients qui négocient sans mesurer la valeur et le coût de notre activité. » Pourtant, le fait d’être un commerce géré par des femmes jeunes ne constitue pas un problème de l’avis de ces entrepreneuses. On dirait qu’elles sont habituées à lutter contre l’adversité et à se prouver à elles-mêmes, toujours avec un sourire au visage, qu'elles peuvent réussir !
Au terme d’une longue période de travail intense, Vitria poursuit son développement. Aujourd’hui, une étagère remplie de bijoux et d’accessoires faits à partir de verre non utilisé vous accueille à l’entrée de l’atelier. Sous l’une des tables de travail, il y a une boîte pleine de déchets et de restes de verre ; ils seront plus tard recyclés. Adriana et Irena reconnaissent les difficultés de prédire ou d’envisager leur croissance dans les conditions actuelles de l’économie et de la société cubaines. Mais elles, toujours enthousiastes, rêvent d’un avenir pléthore de possibilités.
Les recommandations d'Adriana et Irena
L'endroit idéal pour découvrir des vitraux est sans aucun doute la Vieille Havane, là où l'on trouve l'atelier d'Adriana et Irena. Expertes du quartier et de son patrimoine, elles encouragent les visiteurs de se rendre à quelques lieux insolites pour découvrir des vitraux uniques, notamment l'Iglesia de Paula et l'Hôtel Raquel. Elles recommandent aussi de visiter la Plaza Vieja, qui cache de nombreux vitraux magnifiques à l'intérieur de ses demeures coloniales. Le Palacio de los Condes de Jaruco, sur cette place, est un exemple de sauvegarde de patrimoine exceptionnel. Le moment idéal pour visiter la Plaza Vieja et de profiter des vitraux en toute leur splendeur, bien sûr, est au coucher du soleil.
Pour ceux qui souhaiteront apprécier les travaux de Vitria, ils devraient visiter le siège de l'Alliance Française sur le Paseo del Prado, récemment restauré et inauguré par François Hollande lors de sa visite officielle en 2015, et le musée du Palacio del Segundo Cabo sur la Place d'Armes dans la Vielle Havane.
Après avoir fait ce tour complet des vitraux de la Vieille Havane, elles recommandent un arrêt dans le bar du Chanchullero dans le Parque Cristo – une place plus moderne de la Vielle Havane – pour boire un verre et se rafraîchir.
Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.