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Histoire

L'urbanisation de La Havane : de San Cristobal au Vedado

L'Histoire de La Havane et l'émergence du quartier du Vedado

Auteur:
Raúl Martell Alvarez
Date de publication / actualisation:
29 juin 2022

La Revue Opus Havana nous raconte l'histoire de La Havane depuis ses origines et son urbanisation progressive. De la Vieille Ville, autrefois "San Cristobal de La Habana", la ville s'étend progressivement vers les forêts "interdites" du Vedado.

Gravure ancienne du port de La Havane au XIXe siècle

Les origines de San Cristobal de La Habana

Durant la première moitié de l'année 1514, la date est encore imprécise, un groupe de colonisateurs aux ordres de l'adelantado Diego Velázquez s'est établi près de l'embouchure d'une rivière appelé Onicajinal au sud-est de l'île pour fonder une sixième ville. En réalité, les spécialistes admettent que c'est le 16 novembre de l'année 1519 qu'on a fixé définitivement l'emplacement de La Havane sur la côte nord, le long des rives d'un vaste port appelé Carenas par Sebastiàn de Ocampo, qui avait pu y réparer ses navires.

Pour ce vieux loup de mer, connaisseur des îles, des mers et des ports, la vaste baie de type bourse, et l'étroite entrée protégée offrait un grand potentiel de développement pour des commerces et des industries d'armateurs. On estime que cette ville naissante était située le long de la baie, entre l'actuelle rue Tacón et la Place de San Francisco. Entre 1514 et 1519, la ville a changé 3 fois de place.

Il a aussi vu les forêts, qui fourniraient du bois aux essences précieuses, les collines pour ouvrir des carrières de pierres et de poudre, et fournir des matériaux pour les futures constructions. Cependant, bien que visionnaire, il n'avait pas envisagé que ce lieu proche de la baie deviendrait un des quartiers les plus prisés et prospères de la ville, quelques siècles plus tard.

Avec le temps, c'est devenu un site clef, au vu de ses excellentes conditions géographiques, pour l'élaboration d'une stratégie de défense militaire et le développement économique du territoire. Ce lieu a été appelé La Havane par Diego Velázquez, probablement du nom de Habaguanex, un des principaux chefs natifs de la zone.

La situation particulière de cette ville et de sa rade en ont fait un pont entre le Vieux Continent et les pays du nord, du sud et du centre des Amériques. Malgré tous ses avantages, la ville de San Cristóbal de La Habana s’est développée lentement durant les premières années du XVIe siècle car l'île ne possédait ni richesses minérales ni gisements d’or et d’argent. Quelques colonisateurs plus aventureux sont partis définitivement vers les terres du Mexique et du Pérou, pour exploiter les nombreuses ressources naturelles et profiter de la main d'œuvre aborigène.

El Templete, lieu de fondation de la ville de La Havane

En 1553, alors que le gouvernement de l'île, dont est chargé Gonzalo Pérez de Angulo, est transféré de Santiago de Cuba à La Havane, la ville devient le carrefour des communications avec toutes les terres au-delà des mers. Elle s’est transformée très vite en centre d'approvisionnement pour les bateaux, et est devenue le tremplin des expéditions vers des lieux qui promettaient un enrichissement rapide, ou une fontaine de Jouvence pour les rêveurs. C'est ainsi que le 20 décembre 1592, le roi d'Espagne Felipe II accorde le titre officiel de ville à San Cristóbal de La Habana.

La place havanaise était très enviée des pirates et des corsaires, comme le Français Jacques de Sores qui, en 1555, l’a pillée et brûlée, la détruisant presque totalement. La ville a aussi été assiégée par les Anglais et les Néerlandais, Francis Drake, Henry Morgan et Robert Baal. Durant les XVIe et XVIIe siècles des affrontements ont eu lieu fréquemment dans la région des Caraïbes et particulièrement dans le port de La Havane.

Les Capitaines Généraux successifs, nommés par la couronne espagnole, ont commencé à construire des forteresses, des tours et des murailles pour sauvegarder l'intégrité physique et les richesses de la ville, qui s'accumulaient grâce à l'essor commercial et économique, et à l'augmentation démographique.

L'origine de "La Havane"

L'origine du nom de la ville suscite des polémiques parmi les historiens et les spécialistes. Certains chercheurs mettent en rapport ce nom avec sabana (cf. Waibel, Leo et Herrera, Ricardo. La toponimia en el paisaje cubano. La Havane, Ciencias Sociales, 1984), d'autres, comme le Dr. Emilio Roig de Leuchsenring juge que ce toponyme provient du nom du chef aborigène Habaguanex, dont le fief se trouvait entre Mariel et les alentours de Matanzas. Il expose cette thèse dans Enciclopedia de Cuba en la mano, publiée en 1940. Cette dénomination figure dans une communication envoyée par Diego Velázquez aux autorités espagnoles le 1er avril 1514. Malgré toutes ces évidences, le nom et la localisation précise de la ville de La Havane sont encore l’objet de discussions parmi les spécialistes, les écrivains et les chercheurs.

Au XVIIe siècle, la famille Díaz Pimienta a développé une importante activité comme armateurs dans la rue du littoral havanais nommée Tacón. Les équipages étaient le coeur de l'activité de la ville et grâce à eux, l’économie havanaise s'est développée à grande échelle.

La Chorrera, fortification de l'ancien Vedado

Santiago de Cuba et Saint-Domingue ont perdu de la vigueur et La Havane est devenu le véritable centre du Golfe de Mexique et un lieu stratégique pour la couronne espagnole en Amérique. La ville de guano et de bois des deux premières décennies du XVIe siècle s’est transformée en une ville respectable. Bien que représentée comme une ville idyllique et romantique par les peintres européens. On peut encore apprécier leurs fresques et leurs croquis sur les murs de certaines grandes demeures de l'époque, comme au n°4 et 8 de la rue Tacon, construites en 1644.

Lors d’une visite d'inspection en 1633, le procurateur et représentant du gouverneur à la Cour, Simón Fernández, fait allusion à la nécessité de renforcer les ouvrages de défense de la ville par la construction de deux forts : un sur l’embouchure de la rivière Chorrera, où il y avait environ 30 logements, et un autre à l'est, sur la plage de Cojimar.

Le premier fort, à l’ouest, est nommé Santa Dorotea de Luna de la Chorrera. Ce n'est qu’au début de l'année 1639 que le Capitaine général de l'île, Álvaro de Luna y Sarmiento, qui, bien que manquant des fonds nécessaires, eu recours aux contributions des habitants de la ville pour commencer les travaux qui seront terminées quatre ans plus tard.

Pendant ce temps, La Havane originelle est fortifiée avec une muraille et des fortins pour tenter de contenir les fréquents assauts des corsaires et des pirates anglais et français attirés par les richesses qui transitaient vers l'Europe.

Croissance de population, expansion et urbanisation: vers la zone interdite du « Monte Vedado »

L'aristocratie créole naissante est troublée par le bruit et les désordres fréquents causés par le manque d'espace et d'hygiène, l'augmentation de la population, des esclaves, des va et vient des marins et des commerçants, des trafiquants, des contrebandiers... Avec la croissance économique de la ville et la formation d'une certaine classe moyenne de propriétaires espagnols et créoles, un mouvement expansionniste se développe à l'ouest du centre havanais.

Le centre de la ville devient bariolé, bruyant et surpeuplé de commerçants en tout genre, des marchands d'esclaves aux détaillants. Les transports, l'hygiène ne suivent pas l'augmentation de la population. Les espaces se réduisent et la nouvelle classe moyenne décide de partir ailleurs. Un exode progressif commence vers la Zanja de El Cerro, la Quinta de Santovenia, la Finca de los Monos et d'autres zones limitrophes du centre de la ville.

La zone où se situe le Vedado actuel, entre la rivière Almendares, connue au XVIIe comme La Chorrera, et l'actuel Hôtel National, était située sur une colline couronnée par une forêt assez dense qui abritait une flore et une faune sauvages, composée surtout d'essences de très haute qualité comme les cèdres, les acajous et les rouvres. La construction de logements a été interdite par l'Acte du Conseil municipal du 10 décembre 1565 pour protéger les richesses naturelles de cette zone. Le décret colonial en faisait un territoire vedado, c'est à dire interdit.

C'est là l'origine du Monte Vedado, appelé plus tard El Vedado. Cette interdiction répondait également à des nécessités d'ordre stratégique, afin de gêner les envahisseurs de l'île qui utiliseraient les chemins forestiers et les alentours de la côte pour accéder au centre de San Cristóbal de la Habana.

Ancien hôtel Trotcha du Vedado, un des premiers hôtels du quartier

Dans cette forêt « interdite » il y avait seulement des baraques où les gens qui travaillaient à l'extraction de matériaux, tels que la pierre, le bois destinés aux constructions de La Havane pouvaient s’abriter de la pluie et garder leurs outils, et il y avait même des vendeurs d'eau potable. Les arbres de bois précieux pouvaient seulement être abattus sur ordre du capitaine général. On affirme qu'il existe encore en Espagne des meubles en bois de ces forêts. Les habitants de ce petit espace étaient en majorité des esclaves, des cimarrones, des bûcherons, des maçons et aussi des aventuriers.

Aux XVIe et XVIIe siècles, la ville et sa baie avaient déjà une grande importance pour la navigation, car elles recevaient des navires qui transportaient des aliments, des matériaux, des équipements, des personnes, du courrier. Le port havanais avait une telle notoriété que ceux de Santiago de Cuba et de l’île La Española ont perdu leur vigueur.

La ville vivait des moments de magnificence et d’élégance. Des voyageurs de toutes les latitudes confluaient vers La Havane à la recherche d’affaires pour s’enrichir par des méthodes légitimes ou par la contrebande.

La formation du quartier du Vedado

En 1858, la mairie de La Havane approuve le début de la parcellisation de la zone El Carmelo. Cette zone était la propriété de José Domingo Trigo et de Juan Espino, située initialement au sud ouest de la ville, entre la rivière Almendares et l'actuelle rue Paseo, bordée par la rue 21 et la mer. Son extension comprenait 105 parcelles. Un an plus tard, la parcellisation du domaine El Vedado de Francisco Frias y Jacott, Comte de Pozos Dulces et de ses soeurs Ana et Dolores, est approuvé.

Son hacienda se trouvait sur ce domaine de 29 parcelles, situé entres les actuelles rues 11, 13, C et D. Le Comte de Pozos Dulces a dirigé la conception et le dessin de ce quartier, et en mémoire de ce précurseur, une statue a été érigée dans un petit parc de la rue Linea.

Vue aérienne du Vedado au tournant du siècle

Chaque parcelle mesure 100 m de côté. Ce quadrillage permet de nommer les rues du quartier El Carmelo qui débouchent sur la mer avec des numéros pairs : à partir de Paseo, de la rue 2 à la rue 26. Les rues parrallèles sont nommées avec des numéros impairs, de la rue 1 qui borde la côte, à la rue 15. Dans la parcelle du Vedado, limitrophe avec El Carmelo, les rues continuent avec les mêmes numéros à partir de Paseo, et les rues perpendiculaires avec des lettres de A à G.

En 1883 l'adjonction des terrains contigus à El Carmelo est approuvée. Ces terrains appartenaient aux héritiers du Dr. Francisco Medina. Le quartier Medina est ainsi constitué, il s'étendra vers le sud ouest, suivant la même structure que les quartiers voisins. Peu à peu, toutes ces caractéristiques sont intégrées sur les plans généraux de la planification physique des quartiers. Elles se sont imposées suite à la croissance démographique de cette zone et tout ce quadrillage est dénommé El Vedado.

La dimension des rues descendant de la colline du Monte Vedado vers la mer et ses rues perpendiculaires ont été construites pour permettre le libre flux des alizés et rafraîchir la zone résidentielle qui s’est érigée rapidement. Ainsi, le quadrillage des rues est disposé du nord-est au sud-ouest. En 1877 le Projet d'extension d’El Vedado est approuvé sur les terrains de la propriété du même nom, comptant parmi d’autres signatures celle de José de Ocampo.

On postulait ici l'intégration de différents secteurs limitrophes d’El Vedado, de Medina et d’El Carmelo. Ainsi, les propriétés du Comte de Pozos Dulces et celles du Dr. Francisco Medina et du Dr. Manuel García, les terrains de l’Hôpital Royal de San Lázaro et ceux situés à l’est d’El Carmelo passent finalement au quadrillage du quartier El Vedado, ainsi que les terres limitrophes appartenant aux propriétaires de carrières, de sucreries ou d'autres installations

La fin du XIXe siècle et les premières décennies du XXe sont déterminantes pour la définition finale des limites et les dénominations des terrains qui occupent cette zone. Des plans élaborés successivement ont englobé tous ces quartiers dans l’espace quadrillé occupé par le territoire appelé El Vedado.


Opus Habana

Dédiée au patrimoine historico-artistique depuis 1995, « Opus Habana » est la revue institutionnelle de la Oficina del Historiador (Bureau de l’Historien) de La Havane, acteur principal du chantier de restauration de la Vieille Havane, déclarée Patrimoine de l’Humanité en 1982 par l’UNESCO. A caractère quadrimestriel et avec un tirage de 3000 exemplaires, « Opus Habana » est dirigée par Eusebio Leal Spengler, l’Historien de La Havane en personne. Alors que la tendance était à l’économie et la survie dans les années 1990, Eusebio Leal Spengler a su tirer partie des difficultés du pays et obtenir de Fidel Castro une certaine autonomie qui, conjuguée à un extrême talent, lui a permis de transformer la Oficina del Historiador en une véritable entreprise: hôtels, restaurants, boutiques, musées, chantiers de restauration voire de construction etc. « Opus Habana », comme l’Historien, se consacre donc au patrimoine culturel, et en particulier à la réhabilitation de la Vieille Havane. La revue rassemble des intellectuels de prestige, architectes, historiens, sociologues, écologues etc. qui collaborent régulièrement à sa publication, tant dans sa version papier que dans sa version numérique. « Opus Habana » est aujourd’hui une référence, consultée par un public national et étranger. En outre, la présence notable d’artistes plastiques de renommée, notamment en raison de leur contribution aux couvertures et différentes illustrations, en fait également une référence incontournable de l’actualité dynamique et hétérogène des arts plastiques cubains. Voir site internet : http://www.opushabana.cu/

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