Tresses africaines à Cuba : bien plus qu'une tendance
Le tressage, revendication culturelle et réappropriation corporelle
Auteur:
Indira Rosell Brown
Date de publication / actualisation:
2 avril 2023
Cette coiffure, devenue populaire sur l'île, attire l'attention des visiteurs. Mais quelles sont donc ces histoires contées par une tradition de tressage séculaire, héritées du lointain continent africain ? Derrière cet art devenu populaire dans le monde entier, et à Cuba en particulier, se cache une histoire qui mérite d'être racontée.
Les plus sophistiquées parviennent à évoquer un paysage truffé de rivières et de routes sinueuses. D'autres imitent presque parfaitement les figures géométriques. Elles peuvent également apparaître comme de simples lignes ou imiter des cordes colorées. Les tresses africaines font fureur chez les personnes noires et blanches à Cuba. Mais cela n'a pas toujours été comme ça.
Des origines africaines
Cette coiffure ornait la tête des esclaves amenés sur l'île au XVIe siècle. Des chercheurs sur le sujet assurent qu'à leur arrivée à Cuba, leurs cheveux ont été coupés pour des raisons d'hygiène, mais aussi, pour les dépouiller d'une part précieuse de leur identité.
En Afrique, chaque tribu utilisait ses propres motifs de tresses pour se distinguer. Elles sont également utilisées comme moyen de communication entre les sociétés secrètes. Sur le continent noir, les tresses servaient à exprimer l'identité de celui, ou celle, qui les portait : sa religion, sa richesse, son état civil, son pouvoir, son âge...
Une fois sur l'île, les esclaves ont réussi à continuer à tisser leurs cheveux. La coiffure était propice pour les protéger de l'humidité et de la chaleur intense endurées dans les champs de canne à sucre. Le tressage des cheveux a continué pendant longtemps à être un moyen pour transmettre des messages secrets, et créer un espace de socialisation et de créativité chez les femmes notamment.
Les descendants de ces esclaves ont hérité de la tradition. Il était très courant de voir des mères et des grands-mères avec leurs mains couvertes d'huile de noix de coco adoucir les cheveux afro, tout en créant des figures dissemblables sur la tête de leurs filles et petites-filles. Jusqu'à trois générations de femmes ont pu se côtoyer dans ces espaces féminins qui, sans s'en rendre compte, ont contribué à perpétuer un héritage.
Vers une affirmation difficile du cheveux afro
Les femmes d'ascendance africaine ont cessé de tresser leurs cheveux pour les lisser avec un peigne chaud ou un « deriz ». Celles qui voulaient occuper un poste important devaient abandonner les tresses qu'elles avaient apprises de leurs grands-mères, car les cheveux afro n'étaient pas considérés comme élégants. La coiffure disparaissait avec la pression sociale. Pendant longtemps, seules les petites filles portaient le tressage, car cela leur permettait «d'apprivoiser» ce qui était considéré comme des cheveux indisciplinés, sans recourir à des méthodes plus drastiques.
Mais l'histoire des tresses a pris un tournant inattendu dans les années 1970. Durant cette période, les enfants et les jeunes africains ont commencé à étudier à Cuba. Avec eux les Cubains redécouvre le goût de tisser les cheveux. Inspirées par les visiteurs, les filles de l'époque ont appris de nombreux styles de différents pays. Ce renouveau de la tradition a motivé les meilleurs coiffeurs à créer de petits espaces commerciaux dans leur maison.
Les tresses, un art populaire au-delà de la couleur de peau
Bien que les tresses africaines dans la Cuba d'aujourd'hui soient une expression de la personnalité, elles n'ont pas toujours été appréciées. Lorsqu'une femme ou une fille blanche essayait de porter cette coiffure, il y avait toujours quelqu’un pour faire un commentaire d’ordre racial. Les femmes noires préservant avec fierté cet héritage séculaire, difficilement reconquit.
Au fil du temps, les tresses sont devenues populaires et ont cessé d'être l'apanage exclusif des filles et des femmes noires. Le ton péjoratif qu'on utilisait pour désigner la coiffure a également disparu. De plus en plus de visiteurs cherchent à montrer l'héritage africain dans leurs cheveux.
Des projets comme « Lo llevamos rizo » (On le porte frisé, entendez le cheveux) ou « Beyond Roots » (...) promeuvent avec enthousiasme la tradition. De même que des artistes comme Brenda Navarrete et Yotuel Romero ont créé une image au sein duquel la tresse africaine occupe le devant de la scène. Mais rappelons-le, ce style, au-delà d'être une coiffure tendance, est l'expression d'une identité pendant longtemps bafouée. Réjouissons-nous aujourd’hui de l’estime de tous les adeptes des cheveux tressés, et de l’honneur fait à la culture qu'elles représentent.
traducteur:
Stéphane Ferrux-Bigueur
Cubanía
Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.