Il n'y a guère que Serrat… On a beau chercher, on a du mal à citer un auteur-compositeur-interprète de la stature de Silvio Rodríguez dans la musique hispano-américaine. Le monstre sacré de la chanson à texte cubaine vient de souffler ses soixante-douze bougies.
Silvio Rodríguez et l'origine de la Nueva Trova cubaine
Silvio Rodríguez, c'est avant tout un poète d'exception avec une guitare. Un homme timide, à la modestie proverbiale, dont la sensibilité et le talent ont fait un chantre de l'amour, au lyrisme contagieux : la pire des brutes essuie toujours une larme aux notes d'« Ojalá », et comment ne pas avoir la chair de poule en écoutant « Por quien merece amor ? »
Retour à la fin des années 60, l'époque où prit son essor le mouvement de la Nueva Trova cubaine. Un jeune homme aux cheveux longs intègre dès sa création le Groupe d'Expérimentation Sonore de l'ICAIC, dirigé par Leo Brower.
Aux côtés, entre autres, de Pablo Milanés, Noel Nicola, Sara González et Amaury Pérez, Silvio Rodríguez fait un pari - gagné - : rénover en profondeur la chanson cubaine dans le sillage des trovadores, des musiciens bohèmes de l'est du pays, tout en s'inspirant de genres contemporains comme le jazz, le rock ou la samba… Et en mettant la poésie au service d'une pensée engagée, alors que soufflent sur Cuba et l'Amérique latine des vents nouveaux.
Un musicien fidèle à la Révolution, mais surtout fidèle à Cuba
Silvio Rodríguez est donc un héraut de la Révolution cubaine. Alphabétiseur à l'âge de 16 ans, ce fils de paysans pauvres se porte volontaire en 1976 pour combattre en Angola dans les troupes anti-apartheid. C'est le Silvio Rodríguez de «El Elegido», inspirée de la vie du martyr Abel Santamaría, et de « Fusil contra Fusil », composée en l'honneur du Che.
Sa fidélité est sans faille : en 1993, alors que beaucoup croient la révolution moribonde, il se fait élire député au Parlement. Ces dernières années encore, il reste en première ligne, pour preuve son combat pour la libération des cinq antiterroristes emprisonnés aux Etats-Unis, avec qui il chantera « El Necio » à leur retour à Cuba.
Silvio Rodríguez, c'est aussi un esprit rebelle, qui, toutes considérations capillaires écartées, est resté ce jeune anticonformiste dont les paroles dérangent : c'est le Silvio de Resumen de noticias adressé à ses « amis et ennemis », le Silvio des posts critiques du blog Segundacita. Sa voix a du poids. Comme quand il a dénoncé l'absence de concertation au sujet du décret 349 sur la culture qui venait d'entrer en vigueur à Cuba.
Mais Silvio Rodríguez c'est surtout un tour de force, signe de son exceptionnalité : c'est un peuple qui s'approprie une œuvre poétique. Il fallait voir les dizaines de milliers de prisonniers entonner ses chansons telles des hymnes lors de sa tournée des prisons en 2008. Il fallait entendre, trois ans plus tard, les habitants des quartiers populaires cubains chanter « Óleo de una mujer con sombrero » ou « La Maza», lors de sa Gira de los barrios.
Autant de chansons qui accompagnent plusieurs générations de Cubains, de Latino-américains, d'Espagnols… Silvio Rodríguez, en somme, est un classique. Comme une évidence : à Cuba, on ne dit pas Silvio Rodríguez, on dit « Silvio » tout court.
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