Robertiko Ramos, prôner la tolérance envers les LGBTQI
« Roi de La Marca », tatoueur et activiste des droits LGBTQI à La Havane
Cubanía rencontre Roberto Ramos Mori, co-fondateur du premier salon de tatouage de La Havane. Personnage à multiples facettes, il nous parle du tatouage à Cuba, de la culture underground havanaise, de la défense des droits de la communauté LGBTQI et des minorités, en plus de nous donner tous ses bons plans pour découvrir une Havane alternative et gayfriendly.
Roberto Ramos Mori, à 44 ans, est le co-fondateur du premier salon de tatouage de La Havane. Il commence à tatouer ses propres dessins chez lui, il y a 20 ans, sans jamais utiliser d’outil électrique. Puis il lance le pari de La Marca il y a 4 ans et demi, loin de s’attendre au succès actuel.
L’incontournable du tatouage à Cuba nous a ouvert les portes de son salon. En plein cœur de la Vielle Havane, située sur une rue piétonne, chacun s’étonne de la création qui abonde de cette caverne d’Alibaba, une fois les portes poussées. Nombreuses sont les allées-venues de toutes parts, qui ouvrent timidement cette porte d’entrée en bois, et la refermeront plusieurs heures après. On entend aussi bien le suédois, l’italien, que l’anglais, mélangés à quelques « asere que bola? » - équivalent du quoi de neuf mon pote, demander un tatouage au pied, sur l’épaule, le dos... Petit ou grand, le prix minimum du tatouage s’élève à 50 CUC dans un pays où le salaire moyen mensuel d’un médecin tourne autour de 40 CUC.
À l’origine du projet de La Marca, Roberto, qui se fait appeler « Robertiko », rappelle à l’ordre. « Le tatouage à Cuba est a-légal. Il n’y a pas de loi qui le régule. C’est une activité qui touche le corps, donc la santé, d’une personne. Dans un pays qui a fait de la santé publique sa priorité, où les soins médicaux sont gratuits, il devrait y avoir une régulation. Cela devient urgent ». Le studio se cache derrière l’étiquette d’atelier d’art visuel. Il importe son matériel du Mexique ou des États-Unis, d’où les prix exorbitants pour les locaux.
Le tatouage à Cuba est a-légal. Il n’y a pas de loi qui le régule. C’est une activité qui touche le corps, donc la santé, d’une personne. Dans un pays qui a fait de la santé publique sa priorité, où les soins médicaux sont gratuits, il devrait y avoir une régulation. Cela devient urgent.
Comme presque tout à Cuba, leur activité est largement tolérée par les autorités. Mais « de nombreux autres studios, partout à Cuba, n’ont pas les conditions de La Marca et peuvent être dangereux » s’ils ne respectent pas les normes d’hygiène. « Le tatouage fait partie de l’identité du Cubain », estime l’entrepreneur. « Presque tous veulent avoir un dessin sur le corps, qui restera à vie ».
Pas facile d’accès, le flaco (mince) aux cheveux longs, l’air supérieur, se positionne. « Nous sommes ce qui se fait de mieux. Je peux l’affirmer sans avoir les chevilles qui enflent, chica. Même si un Cubain gagne une miche de pain, il va se débrouiller pour trouver l’argent, se ruiner ou supplier sa famille à l’étranger de lui en prêter, mais il se fera tatouer chez nous plutôt que dans une cave humide puante. S’il n’est pas bête ».
Défendre les droits des marginalisés
Mais La Marca, ce n’est pas qu’un lieu où l’on se fait dessiner sur le corps. C’est aussi un lieu culturel, indubitablement alternatif, une sorte de refuge en pleine société machiste.
Comme la plupart des Cubains, Robertiko arbore une grande assurance. Il a fait de la défense des minorités un combat personnel. Tout en essayant de le lier au tatouage. « Nous utilisons le fait d’avoir en commun le tatouage pour nous reconnaître, et nous unir », raconte le Havanais. La Marca est un lieu de débat, où se réunissent des militants de la communauté LGBT, féministes, afro-descendants, drag-queen... mais aussi marxistes, léninistes, jeunes communistes cubains en quête d’échanges analytiques. C’est certainement le seul lieu de La Havane qui parle de la question de genre. Concerts, conférences, projections de films, s’organisent dans ce refuge.
D’autres rêvent de manifestations... Jusqu’au 28 juin, jour de la première Gaypride, suite aux émeutes de Stone Wall à New York. Pour lui, il est nécessaire de « connecter tous les combats » au lieu de les séparer. Quant au débat actuel sur le mariage homosexuel, il ne veut pas en entendre parler.
« C’est lamentable qu’après 60 ans de révolution, on demande le mariage... une institution bourgeoise, qui sépare les gens au lieu de les unir. On devrait plutôt penser à créer une grande institution de défense des exclus ». Il ajoute : « nous sommes dans un faux débat avec l’Eglise ». En revanche, il insiste :
Il n’y a aucune incompatibilité à être marxiste et défenseurs des droits des homosexuels
Les recommandations de Robertiko
Robertiko connaît tous les bons plans pour connaître la scène queer de La Havane. Il nous parle d'un club de cinéma appelé Cine Club Queer, le « le meilleur projet de défense des droits des homosexuels de Cuba », qui change de lieu à chaque réunion. Sinon, le bar de Pazillo dans le Vedado propose tous les mercredi soirs des « soirées Pride », 100% gayfriendly.
Il a aussi quelques adresses pour des soirées alternatives, que l'on ne trouve pas dans les guides touristiques. Le « bar zéro », ou « bar sans nom », sur la Calle Aguiar est une bonne option pour sortir danser dans un environnement un peu berlinois, tout en étant très havanais. La soirée musicale de référence pour tous les Havanais amants de la musique fusion, c’est les mercredi soir avec Interactivo au café-théâtre Bertolt Brecht. Un peu plus loin du centre historique, le bar Sauce de Playa le dimanche après-midi offre des matinées de salsa, une occasion de sortir « en plan temba ». Et bien sûr, La Marca même propose régulièrement des concerts à petite échelle, très intimiste – ce qui leur permet la taille du local – mais avec une très bonne ambiance, qui met en valeur des jeunes musiciens de styles musicaux variés.
Pour manger, il recommande une adresse peu connue de la Vieille Havane, un petit restaurant japonais de famille – même si les plats sont plutôt une fusion cubano-japonaise qu'une véritable cuisine japonaise – appelé Crêpe Sayu sur la rue Obrapía, au coin de la rue Aguacate.
Les recommandations de voyage de Robertiko sortent aussi des sentiers battus touristiques… Il nous parle de Puerto Padre, un petit village de pêcheurs dans la province dans l'Est de l'île, Las Tunas, « un endroit surprenant, hors des sentiers touristiques, surtout intéressant les samedis et dimanches ». Près de La Havane, il recommande une expédition à Canasi, entre la capitale et Matanzas, pour lui « un petit Baracoa, idéal pour aller camper avec des amis un week-end ».
Robertiko est une figure reconnue dans le monde culturel havanais, et on le retrouve toujours aux événements les plus importants comme alternatifs de la capitale cubaine. Pour que le visiteur découvre un aspect de la vie culturelle havanaise en dehors des circuits classiques, il recommande avant tout les célébrations pendant le mois de la gay pride, le mois de la dignité LGBT, de célébration des émeutes de Stone Wall, jusqu’au 28 juin. La marche la plus importante à Cuba cependant a lieu le 11 mai. Amateur du cinéma, il nous parle aussi d’événements de cinéma, mais pas seulement le Festival de Nouveau Cinéma Latino-américain, aussi d’autres initiatives plus petites et moins connues, comme la semaine du cinéma alternatif afro-latino-américain et afro-caribéen, du 24 au 29 juin.
Cubanía
Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.
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