Le quartier de Regla, à l’Est de la baie de La Havane, absent des guides touristiques de la capitale cubaine, a pourtant un patrimoine de plus de 300 ans d’histoire et bien des sites intéressants.
La Havane a fêté en 2019 ses 500 ans, rajeunie par l’affluence de visiteurs étrangers et par un important processus de restauration cherchant à lui redonner sa splendeur d’antan. Cependant, les travaux et les touristes ne semblent pas toucher certains quartiers havanais, plutôt populaires, mais riches en histoire, traditions et lieux d’intérêt.
Quartier pauvre, quartier ouvrier, quartier de noirs, voici les idées reçues que plusieurs Havanais se font de Regla, petit quartier situé à l’Est de la baie de La Havane, face au centre historique et au Sud des grandes forteresses espagnoles. Pourtant, il est beaucoup plus que tout cela, avec une histoire et un présent marqués par la foi et surtout la lutte de ses habitants.
Sur les ruines industrielles de La Havane
Regla est situé sur une presqu’île pleine de collines qui s’enfonce dans la baie de La Havane. Le relief assez irrégulier du terrain, alternant des élévations, des pentes et des secteurs plats, a une influence visible sur le paysage urbain du quartier : des rues longues mais ni larges ni droites, où de maisons modernes faites de béton cohabitent avec d’autres plus petites, en bois et aux couleurs vives. Mais ce sont ses caractéristiques maritimes et industrielles qui ont toujours donné à Regla une identité unique.
En effet, marqué par l’activité portuaire, les industries, l’esclavage et la migration, ce quartier a toujours été un lieu d’effervescence sociale importante et un site de brassage de populations diverses et multiculturelles, essentiel dans la formation de la culture cubaine telle qu’on la connaît aujourd’hui.
Un berceau de la lutte sociale à Cuba
Le 3 mars 1687, les autorités coloniales de La Havane cèdent ces terres à un religieux provenant du Pérou, qui y construit un ermitage consacré à la Vierge de Regla. Autour de ce premier sanctuaire se structure un village bientôt devenu port de commerce grâce à son embarcadère situé sur la baie de La Havane, permettant de relier les villes, villages et exploitations agricoles de l’Est avec la capitale de l’île.
Cette double condition de lieu de culte et de commerce maritime fera du site l’un des foyers où, chez les esclaves et salariés d’origine africaine, se formeront les religions afro-cubaines, tels que la Santería ou le Palo Monte, ainsi que la société sécrète Abakuá, dont la présence est toujours appréciable au quartier.
À ce melting pot de cultures, s’ajouteront celles des migrants chinois, juifs, arabes, italiens et même français, attirés au XIXe siècle par la prospérité du commerce à Regla, due en grande mesure à l’inauguration de l’un des premiers chemins de fers à Cuba, destiné au transport de charbon minéral et de sucre jusqu’au port.
Les échanges commerciaux et culturels seront aussi à l’origine d’une petite bourgeoisie cultivée et engagée : Eduardo Facciolo, jeune imprimeur habitant du village, sera le premier journaliste exécuté par des motifs politiques à Cuba en 1852, après avoir publié des tracts contre le pouvoir espagnol. Quelques décennies plus tard, nombre de Reglanos partiront rejoindre l’armée des insurgés pendant les Guerres d’Indépendance (1868-1898) et le Lycée Artistique et Littéraire de Regla, inauguré par nul autre que José Martí, héros national de Cuba, deviendra lieu de conspiration pour la libération du pays.
L’arrivée du XXe siècle et de l’indépendance, même si Cuba restera longtemps attaché politique et économiquement aux États-Unis, verront la transformation de Regla en port industriel et la naissance et développement accéléré d’une classe ouvrière. Celle-ci va bientôt s’organiser en syndicats et associations afin de se battre pour ses droits et les manifestations et grèves seront à l’ordre du jour. En 1920, le quartier vivra même l’élection à la mairie d’Antonio Bosch, qui déclarait ouvertement ses sympathies communistes, chose inouïe pour un homme politique à Cuba à l’époque.
Cet esprit de lutte devenu tradition du quartier, dans les années 50, lorsque l’armée rebelle de Fidel Castro se battait contre les forces du président Batista dans les montagnes de la Sierra Maestra à l’est de Cuba, les rues de Regla seront le siège de véritables combats entre la police du régime et des révolutionnaires. Après le Triunfo de la Revolución, plusieurs habitants du quartier participeront comme enseignants à la campagne pour éradiquer l’illettrisme à Cuba, et comme soldats dans la bataille de la baie de Cochons.
Une résistance qui continue…
Au XXIe siècle, Regla n’échappe pas aux difficultés économiques vécues à Cuba depuis les années 90. Visiblement affecté par le déclin de l’activité industrielle et commerciale du port de La Havane, autrefois l’un des plus dynamiques des Caraïbes, le quartier subit depuis plusieurs décennies, la multiplication d’établissements informels ou bidonvilles, à Cuba :llega-y-pon (arrive et pose), provoquant des problèmes de surpopulation et insalubrité.
Cependant, il n’y manque pas de personnes actives intéressées par l’avenir de la communauté. En effet, suite au passage le 27 janvier 2019 d’une tornade sur le sud-est de La Havane, comprenant également le quartier de Regla, plusieurs habitants qui n'avaient pas soufferts de grand dommage se sont incorporés aux actions spontanées de bénévolat et aux travaux organisés par la Société civile et le gouvernement pour aider les victimes.
De même, c’est également à Regla que se réalise le projet communautaire du groupe d’hip hop Obsesión. Animée par le rappeur, activiste et voisin du quartier Alexey El tipo ese (le mec-là), cette initiative cherche à mettre en valeur les talents des jeunes de la communauté et développer chez eux un sens de la fierté d’être d’origine africaine. Chaque mois, on célèbre des fêtes en plein air avec de la musique en live et d’autres manifestations artistiques, souvent avec des artistes invités, dont, notamment, en 2016, le célèbre chanteur et acteur états-unien Usher.
Pourtant, El tipo ese n’est pas le seul artiste à vivre et travailler à Regla. En effet, nombre de musiciens, peintres et danseurs continuent à enrichir le patrimoine artistique du quartier avec leurs travaux, presque toujours marqués par des éléments religieux afro-cubains. L’un des exemples les plus célèbres, c’est la compagnie de danse populaire Los guaracheros de Regla, véritable vedette du Carnaval de La Havane.
Ainsi, activités portuaires, industries, immigration, esclavage, luttes sociales et politiques, résistance face aux difficultés et musique sont parmi les éléments qui ont créé à Regla un patrimoine si unique et différent des autres quartiers de la capitale cubaine. Pour voir La Havane et comprendre son histoire et sa culture sous un autre angle, Regla vaut sans aucun doute le détour.
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