La Havane de Demain (I) : (Re)construire une ville verte
Partie 1 : Le Corridor Culturel de Línea et la rénovation urbaine à Cuba
Auteur:
Allison Le Corre - EMP
Date de publication / actualisation:
5 janvier 2023
Le développement stagné de La Havane la rend unique dans le monde globalisé du XXIe siècle. Une condition et un potentiel qui font rêver un grand nombre d’urbanistes. Ainsi, lorsqu'une entreprise d'architecture cubaine proposa un projet urbanistique qui visait à transformer la rue Línea, l'un des principaux axes de transit du Vedado, cela réveilla l'imagination des urbanistes du monde entier : La Havane pourrait-elle être un modèle pour la ville de demain, verte, écologique et saine ?
Ce groupe d’architectes et de designers cubains, c'est Proyecto Espacios, et le projet c'est Corridor Culturel, une initiative qui cherche à transformer cette importante rue en promenade culturelle, à l'image d'une Havane plus verte, plus agréable et plus contemporaine. Un projet ambitieux qui soulève quelques questions fondamentales : quelle Havane imagine-t-on pour demain et comment faut-il la construire ? Dans le cadre de la XIIIe Biennale de La Havane, le projet de Línea a été mis en avant lors d’une rencontre internationale d’urbanistes et d’architectes autour de ce thème. Lors de ces rencontres nommées «(In)Soutenables Architectures», des professionnels de l'urbanisme venus de France, du Mexique et des Etats-Unis rejoignent leurs collègues cubains pour discuter de la conception, des implications et de l'implémentation du projet de Línea. Cubanía a pu vivre ces débats depuis l'intérieur. On vous raconte…
La Havane aujourd’hui : de la restauration à la rénovation
À la veille de ses 500 ans, La Havane a fait l’objet d’une vague frénétique de restauration. Les travaux se multiplient. Partout, on rénove les sites emblématiques de la ville : le Capitole, le quartier chinois, l’Avenue du Port, les Jardins de la Tropicale, Coppelia… Or, à Cuba, il ne s’agit pas simplement de restaurer l’ancienne ville, mais aussi de rénover et de construire une Havane contemporaine.
Certains architectes cubains profitent donc des 500 ans pour mettre en avant des projets urbanistiques de régénération, tel le projet du Corridor de Línea. Mais, rénover, c’est bien plus compliqué que restaurer. Surtout lorsque la priorité d’une ville comme La Havane est d’entretenir avant de construire…
Certes, les vieilles voitures et le paysage architectural daté de La Havane attirent un bon nombre de touristes qui vivent ainsi « un voyage dans le temps ». Mais, au-delà du romantisme, ces mêmes éléments sont le signe d’une ville qui subit sérieusement l’effet du temps. Réseau de transport fatigué et inefficace, bâtiments qui s’affaissent sur leurs habitants, crise de logement… La Havane n’est pas une ville figée dans le temps, mais plutôt une ville du XXIe siècle vieillie qui souffre du manque de modernisation et d’actualisation. C’est un adulte fatigué qui porte toujours ses vêtements de jeunesse, démodés et abîmés.
Pourtant, la capitale cubaine a connu une époque de splendeur, l’antithèse de cette ville délabrée que l’on connaît aujourd’hui. Cette splendeur a laissé sa marque : bien que détériorée, l’exceptionnelle beauté de La Havane est toujours frappante. Paradoxalement, sa paralysie lui a aussi permis de conserver un charme, une simplicité et une humanité disparues dans les métropoles du XXIe siècle.
Donc, parler de rénover La Havane, ce n’est pas si simple. Cette ville est à la fois une opportunité et un défi unique pour les urbanistes : il faut la réinventer tout en en conservant cette temporalité singulière qui la caractérise...
Sur cette toile quasi-vierge qu’est La Havane, les urbanistes du XXIe siècle s’interrogent sur la ville contemporaine à peindre. Ce sont les débats qui ont animé les rencontres « (In)soutenables Architectures : rencontres France Amérique » où se sont réunis des architectes et des urbanistes de diverses nationalités autour du projet du Corridor de Línea.
Le projet du Corridor culturel de Línea : projet culturel ou urbanistique ?
Le projet du Corridor Culturel de Línea, sous l’impulsion de Vilma Bartholomé, directrice de l'entreprise d’architecture et de design privé Proyecto Espacios, veut lancer une rénovation du Vedado en transformant un de ses principaux axes de transit en promenade culturelle. L’idée est de redonner vie à une rue qui est aujourd’hui peu adaptée aux piétons et peu attractive pour les habitants de la capitale cubaine, malgré son riche patrimoine architectural, ses importantes installations culturelles et un grand nombre d’espaces publics.
Gravure ancienne du port de La Havane au XIXe siècle
Histoire
L'urbanisation de La Havane : de San Cristobal au Vedado
L’intention « culturelle » du projet n’est qu’un prétexte pour repenser La Havane à partir de l'un de ses quartiers essentiels. Non seulement le Vedado est le cœur de vie de la capitale cubaine (concentration de bars, restaurants, théâtres, cinémas, parcs et institutions…), mais c’est aussi un des quartiers les plus beaux et intelligemment conçus de la ville. Malgré sa valeur, le Vedado a été largement négligé par les autorités urbaines au profit du centre historique où ont été orientés tous les efforts et les ressources de conservation et de réanimation urbanistique aujourd’hui.
Pourtant, le Vedado mérite bien qu’on y prête attention. Mais cela ne peut pas être fait à la légère : les enjeux d’une retouche du Vedado sont assez élevés. La rue Línea incarne ces problématiques.
Le Vedado : un quartier éco-friendly ?
Le Vedado, avec ces pâtés de maisons parfaitement ordonnées et numérotées, verdure systématisée, rues arborées, espaces réservés aux jardins, peut être considéré comme un précurseur de la ville verte à laquelle on tente de revenir aujourd’hui. Conçu dès le milieu du XIXe siècle, développé et perfectionné au tournant du XXe, ce quartier fut le symbole de la ville moderne et de l’urbanisme rationnel.
La rue Línea représente une époque emblématique de ce progrès urbain incarné par le Vedado. Elle accueille la première ligne de tramway électrique de La Havane, inaugurée en 1901, qui lui accorde une importance centrale dans la ville. Ce tramway, qui connecte l’ouest du Vedado (auparavant connu comme Carmelo) avec le centre de la ville, permet au quartier de se développer organiquement, devenant un nouvel archétype de ville moderne, où règnent les transports publics, la planification paysagiste et l’hygiène environnementale en contexte urbain. Tous ces prérequis font du Vedado, dans son essence, l’idéal de la ville verte et écologique dont rêvent tant d’urbanistes aujourd’hui.
On peut donc se demander en quoi il est nécessaire d’y intervenir puisque le Vedado, tel qu’il a été conçu au tournant du XXe siècle, est le précurseur de la ville du futur qu’on essaie de construire.
Le fait est que ce quartier perd avec le temps certaines des qualités qui étaient au cœur de sa conception. Il est ainsi tiraillé entre deux idéaux de ville : la ville écologique et la ville motorisée. Dès les années 1920, c’est la voiture, importée en masse depuis les États-Unis, qui devient le nouveau symbole de modernité de La Havane. Le Malecón, cette autoroute au bord de la mer de 7 kilomètres, en est la consécration.
Línea suit le mouvement : on recouvre les lignes du premier tram de la ville, aujourd'hui disparu, et on transforme la rue en voie express pour les automobiles, coupant presque tous les axes perpendiculaires qui traversaient l’avenue. Línea, à l’origine du développement organique du quartier, devient une barrière autoroutière qui traverse et coupe le Vedado au lieu de la connecter. Cet espace urbain auparavant consolidé se fragmente progressivement.
Quand la Révolution de 1959 triomphe, l’américanisation et la motorisation de la ville sont stoppées, sans pour autant disparaitre. Le Vedado est alors paralysé. Et pour accentuer l’inertie, ce qui existe n’est pas entretenu. Le patrimoine se dégrade progressivement et le Vedado devient un drôle de mélange entre modernité et antiquité, entre ville écologique idéale et ville dysfonctionnelle.
La Havane, un possible modèle pour la ville de demain
La paralysie de La Havane aurait un avantage. Non seulement la ville a préservé l’essence d’un espace urbain intelligent, mais la Révolution a permis de la protéger de certains phénomènes de sur-développement qui ont porté atteinte aux autres métropoles dans le monde, sur lesquels les urbanistes tentent de revenir en arrière aujourd’hui. On parle ailleurs d'invasion par l’automobile, de réduction des espaces publics face à l’accroissement de l’investissement privé, de pollution extrême ou de multiplication des inégalités urbaines, favélisation, etc.
L’urbaniste idéaliste qui met les pieds à La Havane a les yeux qui brillent ! Cuba pourrait directement passer de son statut actuel à une ville environnementale du futur... Il s’imagine La Havane comme ville idéale pour la mobilité alternative et les piétons, une ville verte, une ville où la population s’empare des espaces publics… Intervenir sur la rue Línea afin qu’elle retrouve son identité originale serait une grande opportunité pour commencer à construire cet idéal et en faire un exemple pour le reste de la ville et des métropoles du monde.
Cependant, utopies mises à part, c’est aux Cubains de décider du destin de leur capitale. Les Cubains se projettent-ils dans le même idéal de ville que leurs collègues urbanistes du monde capitaliste ? Partagent-ils les mêmes rêves ?
Illustration du projet du Corredor Culturel de Línea
Architecture
La Havane de Demain (II) : Les défis de la rénovation urbaine
Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.