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La religion à Cuba, une relique africaine

L'Afrique dans la culture cubaine

Auteur:
Jorge Ramirez Calzadilla
Date de publication:
19 mai 2022

Il apparaît que les racines africaines sont aussi présentes que les racines hispaniques dans la construction de l’identité culturelle cubaine. Dans cet article d'Inter Press, le spécialiste en Études socio-religieuses du Centre de recherche du Ministère de Sciences de Cuba, Jorge Ramirez Calzadilla, explique l'influence de l’Afrique dans la religion à Cuba.

Une femme qui vend des fleurs d'offrande face à l'Eglise de Regla

Bien que très populaires, les mouvements religieux d’origine africaine ont toujours eu du mal à s’affirmer officiellement sur l’île de Cuba. Héritiers d’un lourd passé de domination coloniale, ils ne se sont jamais structurés comme s’ils craignaient que la standardisation les normalise à l’excès. Cette absence d’organisation a conduit à considérer les mouvements religieux d’origine africaine comme particulièrement amoraux. Cependant, ils ont réussi à s’imposer et à s’étendre dans le Cuba pré-révolutionnaire. Les explications sont à chercher dans l’histoire esclavagiste de l’Île.

L'Afrique dans la culture cubaine

Les apports africains dans la culture cubaine sont visibles aussi bien dans l’art (musique, danse, littérature, arts plastiques…) que dans la vision cubaine des réalités, la façon dont les habitants règlent les problèmes, la vision qu’ils ont de l’avenir et le sort qu’ils font à la mort.

Il n’est cependant pas simple de déterminer formellement l’origine culturelle de certaines pratiques. Comme le dit si bien le poète Nicolás Guillén : « [...] ici, tout est mélangé. »

S’il y a un domaine où les études sont formelles quant à l’origine des pratiques, c’est la religion. Beaucoup d’organisations, de symboles et de célébrations ont été importés par les esclaves africains du XIXe siècle. Ces mouvements populaires, relativement autonomes, rassemblent de nombreux Cubains.

Autel de Santería aux guerriers yoruba

L’Afrique dans la religion cubaine

Les mouvements africains d’origine ont évolué avec le temps. Ils se sont mélangés avec les pratiques cubaines traditionnelles. Les mouvements religieux les plus populaires aujourd’hui sont la Regla Ocha, appelée aussi Santería, d’origine Yoruba (Niger), la Regla Conga ou Palomonte originaire des peuples Bantous et l’Abakuá, société secrète réservée aux hommes venant des peuplades nigériennes. Il en existe bien d’autres mais assez minoritaires sur l’Île telle la Regla Arará d’origine béninoise.

En parallèle, les aînés et certains de leurs descendants pratiquent le vaudou. Religion originaire d’Afrique de l’Ouest, elle a été introduite à Cuba par des saisonniers haïtiens travaillant dans les champs de cannes à sucre.

Plus récemment, des groupes de rastafaris se sont formés en comité réduit. Cette religion autochtone jamaïcaine s’est construite à partir d’éléments doctrinaux et culturels occidentaux. On trouve à Cuba aussi le candomblé brésilien, le Shangó de Trinidad ou le winti de Suriname.

Tous ces mouvements sont différents mais ont de nombreuses similitudes quant à leur origine, leurs représentations symboliques, leurs rituels et leur difficulté d’intégration dans un pays originellement chrétien.

L’Afrique fait partie de l’identité latino-américaine. Cette identité a été forgée durant plusieurs années à travers divers processus de trans-culturation pendant lesquels les cultures hispanique, aborigène, inca et africaine ont abreuvé la culture cubaine. D’autres parts, l’Angleterre, la France et d’autres pays européens et asiatiques ont également pris part à ce processus. Le résultat a conduit à une culture originale, mélange de divers horizons.

L'évangélisation et la spécificité cubaine

Les esclavagistes ne se sont jamais vraiment intéressés à la vie spirituelle de leurs esclaves. En outre, ces derniers ont eu des difficultés à intégrer les dogmes catholiques que les évangélistes essayaient de leur imposer. Les différences culturelles et linguistiques leur rendaient la tâche particulièrement ardue.

De plus, l’esclave ne voyait bien sûr pas l’esclavagiste chrétien comme un modèle éthique et religieux à imiter. Il ne comprenait pas les contradictions entre le prêche d’un amour envers son prochain et des pratiques inhumaines et cruelles d’esclavage.

Autel aux Saints et Orishas comme excemple de syncrétisme religieux

Ces esclaves n’étaient pas sans culture ni religion. Leur imposer la religion chrétienne signifiait les obliger à oublier leur culture et leurs croyances personnelles. Devant une perte probable de leur identité, les esclaves ont naturellement résisté. C’est un phénomène courant des peuples qui ont émigré par force et non de leur pleine volonté.

Il faut toutefois noter que la religion catholique à Cuba était particulièrement ouverte aux autres croyances, y compris africaines. Elle a évolué au fil des colonisateurs espagnols, chacun apportant ses pratiques souvent différentes de l’orthodoxie officielle et de la rigidité morale de l’église espagnole. Plus qu’une simple recherche du salut de leur âme, ces aventuriers trouvaient dans la religion une réponse au surnaturel les entourant. Ils priaient des saints, des vierges et autres symboles pour leur demander miracles et guérison.

À Cuba, le recours à la Bible perdit de l’importance au profit de divers images, rosaires, neuvaines, pèlerinages et processions. Le baptême et les enterrements étaient les services les plus demandés à l’église.

Les points communs entre le catholicisme cubain et les religions africaines ont été mis en avant par Fernando Ortiz : « [...] le culte catholique pratiqué à Cuba n’était, en effet, pas très différent du fétichisme. »

Les religions d'origine africaine aujourd’hui

Après la révolution de 1959, la politique officielle en matière religieuse se fonda sur une liberté et une ouverture à tous types d’expressions et de groupes religieux sans distinction. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire cubaine, la libre-pensée religieuse est devenue une règle. Les religions d’origine africaine ont pu alors librement prospérer.

L’athéisme des dirigeants socialistes n’a jamais été imposé en norme à la population cubaine. Il a affecté toutes les religions de la même façon sans pour autant les décrédibiliser. Au fil des ans, les modifications législatives: incorporation des croyants au parti en 1991, inscription dans la constitution du caractère laïque de l’État en 1992, ont assis une liberté religieuse héritière de la tradition indépendantiste.

Chaque saint yoruba a un rythme, un chant et des pas propres

Ceci influença également une politique culturelle favorisant les traditions africaines telles que la musique, la danse ou les pratiques religieuses. C’est sur un terrain si favorable que ces dernières ont pu prospérer.

Un autre point important est que les pratiques d’origine africaine sont naturellement orientées vers la diversité religieuse. Il est fréquent qu’un santero, par exemple, soit baptisé par l’Eglise catholique en même temps qu’initié au palomonte et au spiritisme.

Aujourd’hui, certains s’inquiètent du déclin général des religions et  souhaitent la constitution de structures centrales permettant de dynamiser les cultes. Quelques pas ont déjà été faits avec la constitution de la Société culturelle Yoruba de Cuba dans la santería ou l’Organisation d’unité Abakuá prônant l’ouverture inter-religion. Parallèlement, les chefs religieux, les babalawos en tête, promeuvent un regroupement des idées de la Regla Ocha pour mettre de la cohérence dans les différentes pratiques.


Inter Press Service en Cuba

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