Les origines de la guayabera sont bien mystérieuses. Symbole de l’île de Cuba, cette chemise ample à plis et boutons est le reflet de sa population.
Idéale au climat de l’île car gardant la fraîcheur, elle apporte une touché d’élégance tout en gardant une certaine désinvolture. Sa reconnaissance collective n’a pas été simple. Récemment la guayabera a été décrétée tenue protocolaire par les autorités cubaines.
L'origine de la guayabera
Même s’il n’existe aucune documentation officielle, tout le monde s’entend sur le fait que le vêtement a été originellement créé dans la province de Sancti Spíritus (350 kilomètres de La Havane). On raconte que cette chemise s’est d’abord appelée yayabera durant l’époque coloniale en référence à la rivière Yayabo traversant la province.
La légende prétend que la chemise est née en 1709, grâce à José Pérez Rodriguez et Incarnación Núñez García, couple andalou établi à Sancti Spíritus, capitale de la province. José était potier. Un jour il demanda à son épouse qu’elle lui confectionne une chemise ample à manches longues pour la placer au-dessus du pantalon et comportant de grandes poches pour emporter objets personnels et tabac. Grâce à un rouleau de fil de lin reçu d’Espagne, Incarnación se mit au travail. Son mari fut très content du résultat et montra la chemise à ses voisins et amis. La mode était lancée.
Bien que souvent dénoncée, cette histoire a le mérite d’être rentrée dans l’imaginaire collectif. Pour la prestigieuse dessinatrice cubaine María Elena Molinet : « La naissance de la guayabera n'est pas l’œuvre d'une seule personne et on manque encore d’informations pour déterminer à partir de quel moment elle est devenu un habit élégant, frais, blanc, amidonné et qui, repassée, pouvait être porté sans cravate. »
Une chemise simple mais populaire
Ce n’est que dans les années quarante du siècle dernier que son utilisation s’est étendue à toute l'île. Le mot guayabera que nous utilisons aujourd'hui pour l'identifier, et avec lequel elle est connue partout dans le monde, est aussi lié au fait que la tradition orale le reprend comme l'un des plus beaux clins d’œil à l'esprit pratique du cubain. Le vêtement n’était pas connu seulement pour son ampleur et sa fraîcheur mais aussi pour son côté pratique : ses poches servaient en effet à charger le nécessaire au quotidien, y compris les goyaves (fruits tropicaux) que les hommes cueillaient en chemin pour offrir à leurs bien-aimées.
Dans la littérature, selon le journaliste Ciro Bianchi, la plus ancienne référence de la guayabera se trouve dans Leonela, un roman de Nicolás Heredia publié en 1893. Néanmoins, le mot guayabera n’a été légitimé qu’en 1921 par Constantino Suárez lorsqu’il l’inclut dans son Vocabulario cubano. On sait que la chemise a d'abord été portée à la campagne par une tranche aisée de la population.
C'était un vêtement cher : blanc, comportant deux rangées verticales d’alforzas (plis fins), des ouvertures inférieures et ornée de boutons de nacre. Le fait que l’on devait le confier à de bonnes repasseuses en élevait encore plus le prix. Quand la guayabera s’est répandue dans l'île, elle coûtait plus cher qu'un costume bon marché.
Selon Ciro Bianchi, c’est le Major-général José Miguel Gómez, une fois encore un espirituano (habitant de Sancti Spíritus), qui apporta la guayabera à La Havane pour la première fois. Il n’a pas été facile de conquérir la ville. Ce sont sans doute les politiciens de la République de Cuba (1902-1959) qui l'ont utilisée le plus, faisant baisser les prix et accroitre sa popularité. On la portait aussi bien pour aller au bal que pour un meeting politique.
Vers la fin des années 50, le coton s’est développé et la forme du vêtement a été simplifiée : plusieurs couleurs sont apparues, les manches courtes se sont développées et les boutons de nacre sont devenus courants.
La guayabera à l’époque de la Révolution
La guayabera disparaît totalement avec le triomphe de la Révolution cubaine en janvier 1959. Certains pensent qu'elle représentait une époque de politiciens corrompus déjà dépassée, d'autres signalent avec plus de logique que cela est dû aux exigences d'une époque agitée de grands changements, durant laquelle la chemise traditionnelle a cessé d'être confortable. À cette époque, les Cubains suivaient en effet aussi bien un entraînement militaire qu’une bataille pour mener à bien la récolte de la canne à sucre, après le blocus imposé par le gouvernement des États-Unis, maintenu jusqu'à nos jours.
Ce contexte a probablement favorisé le développement de la guayabera vers d’autres latitudes. C’est pour cette raison qu’à l’étranger on pense parfois qu'elle n'est pas cubaine. Ciro Bianchi, dans un article publié dans le journal Juventud Rebelde le souligne ainsi : « De Cuba, elle a sauté dans le Yucatán. Les Yucatecos de la haute société acquéraient la guayabera à La Havane. Après 1960, elle a commencé à être confectionnée dans cette province mexicaine et Mérida (capitale du Yucatan) s'est convertie en capitale mondiale de la guayabera jusqu'à ce que les Asiatiques, avec leurs imitations élaborées au Japon et à Taïwan, aient anéanti l'industrie locale. La guayabera philippine n’a rien à voir avec la version cubaine : elle n’a pas de poches et est portée avec le bouton de col fermé. Dans des pays d'Amérique Centrale, la guayabera porte le nom de habanera. »
Ce n'est qu’à la fin des années 70 qu’on la voit réapparaître à Cuba. Mais son usage était limité aux seuls actes protocolaires ou uniformes de travail pour certains employés d’établissements gastronomiques. Une version féminine vit également le jour. Le polyester devint le tissu principal alors que sa version blanche a perdu de sa popularité. Encore aujourd’hui, il est encore difficile de voir des guayaberas dans les vitrines. Les plus anciens ont les leurs, gardées pour des occasions spéciales alors que les jeunes Cubains pensent qu’il s’agît plus d’un habit dépassé que de la façon traditionnelle créole de s’habiller.
Fidel Castro sauveur de la guayabera
La chemise nationale pris à nouveau de l’importance lors du sommet Latino-américain de Carthagène des Indes, ville colombienne, en juin 1994. En effet, Fidel Castro est apparu pour la première fois sans son uniforme vert olive, mais portant une guayabera traditionnelle. La surprise a été grande et les médias internationaux ont beaucoup parlé de son habit. Cela a permis à la guayabera de retrouver sa place traditionnelle à Cuba et d’être promue comme vêtement faisant parti du folklore du pays.
Un fort travail de sauvetage de la guayabera a lieu de nos jours. Récemment un Musée de la Guayabera a été inauguré à Sancti Spíritus où sont exposées environ une centaine de chemises de ce type appartenant à différentes personnalités telles que l’écrivain Gabriel García Marquez, le chef de l’état Fidel Castro, le président vénézuélien Hugo Chávez et son collègue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva.
Chaque année depuis 2008, la Direction Provinciale de la Culture de Sancti Spíritus organise « les journées de la guayabera » : une animation culturelle qui prétend redonner au vêtement son lien indiscutable entre la ville et le reste de Cuba voir des Caraïbes.
Aujourd’hui, bien qu’il soit encore difficile et cher pour les Cubains d’obtenir une pièce moderne conservant ses caractéristiques traditionnelles, la guayabera fait son retour. Cette renaissance n'est pas liée nécessairement aux dispositions gouvernementales, bien que les autorités culturelles accordent une grande valeur au sauvetage de sa mémoire historique comme fierté nationale. Ce qui enchante ceux qui la regardent depuis la vitrine inaccessible du magasin ou lorsqu’elle est portée par une personnalité, c’est qu'au-delà de sa praticité elle représente la tradition conservée et l'identité vestimentaire de la nation cubaine.
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