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Histoire de l'Economie cubaine : le Marché

Les premiers symptômes de la nouvelle économie cubaine

Auteur:
Stéphane Ferrux-Bigueur
Date de publication:
25 février 2021

Que peut-on constater après deux mois de changements économiques et de la dite « unification monétaire » ? Il est bien trop tôt pour tirer des conclusions, néanmoins l’occasion est donnée d’observer certains changements.

Ordenamiento monetario Cubadebate
Ordenamiento monetario

Sont-ils circonstanciels, provoqués par une étape de transition nécessaire pour atteindre de vrais changements vers une amélioration des conditions de vie de la société cubaine ? Ou au contraire, ces changements sont-ils superficiels, et ne modifieront pas dans la durée les dysfonctionnements structurels de l’économie ?

Bien malin qui pourrait répondre. Cet article ne donne donc aucune réponse mais apporte des éléments de réflexions basés sur l’observation au quotidien de la vie à Cuba.

Les nouvelles bases de l’économie

Stimulation du marché parallèle

L’effet psychologique de déstabilisation dû à l’unification monétaire provoque une forte incertitude et une démotivation généralisée dans la société. A cela vient s’ajouter la crise de la pandémie et son lot de difficultés dans la vie quotidienne. L’ensemble de ces changements font peur et orientent naturellement la population vers les solutions alternatives, au sauve-qui-peut que sert parfaitement le marché parallèle.

Toujours le dollar comme référence

Après un mois de la disparition du CUC, équivalent du dollar en espèce, on constate simplement l’apparition du MLC (Monnaie Librement Convertible), toujours équivalent du dollar, mais électronique !

Il n’y a jamais eu unification monétaire, du moins au niveau de la société, sinon un changement de support : la nouvelle monnaie scripturale de la population permettra à l’État de mieux contrôler les flux de l’économie grâce aux transferts inter-bancaires et aux paiements électroniques.

Les entreprises remettent les compteurs à zéro

La fameuse unification s’est faite au niveau de la comptabilité des entreprises. La nouvelle valeur du CUP (peso cubain) de 24 pour 1 dollar - au lieu de 1 pour 1 - permettra une purification de cette comptabilité grâce à la suppression des subventions qu’engendrait une monnaie survalorisée. Les entreprises devront produire, mais surtout faire les comptes !

Spéculation sur le MLC (Monnaie Librement Convertible)

Premier effet constaté à Cuba : des magasins souvent vides et quand ils ne le sont pas il est impossible d’y entrer en raison des files d’attente. Certains de ces magasins affichent leurs prix en CUP, ils sont censés proposer des denrées et produits de première nécessité. D’autres magasins n’acceptent que les MLC et donc seulement en carte de crédit. Ils proposent de l’électroménager mais aussi toutes sortes de produits d’importation. Les cubains en majorité possèdent des CUP ; les détenteurs de cartes de crédit en MLC sont plus rares mais c’est le nouveau genre qui essaye de se développer par tous les moyens.

Le Amazon à la cubaine

Site d'achat Online TuEnvio
Site d'achat Online TuEnvio

La meilleure alternative au commerce traditionnel rendu aujourd’hui pratiquement inaccessible, est la nouvelle tendance du commerce électronique. C’est aussi le genre d’activités que stimule l’État car elle est moderne, technologique et économique. Il suffit de taper « comprar online en Cuba », acheter Online à Cuba, pour obtenir toutes sortes d’offres. Parmi les plus sérieuses on distingue une première tendance qui consiste à proposer les produits disponibles à Cuba, justement ceux qui ne sont plus dans les magasins traditionnels. C’est le site de l’État « Tu Envio » qui vend en CUP ou MLC par l’intermédiaire d’une application de virements depuis le compte bancaire des cubains. La seconde grande tendance, ce sont les sites similaires à celui de l’État, proposant les mêmes produits, de la même manière organisés par ville ou boutique, mais qui vendent en devises USD ou EURO uniquement par carte de crédit, depuis l’étranger. Le premier étant pour les Cubains de Cuba, le second pour les familles vivant à l’étranger.

Il existe aussi des sites web comme Mall-Habana qui, en plus de proposer les produits disponibles à Cuba, importent certains produits depuis l’Europe. Mall-Habana est à la base une entreprise espagnole qui importe des produits de première nécessité à Cuba et exporte des produits cubains en Europe. Elle vend Online les produits couramment proposés dans un supermarché, aux Cubains installés à l’étranger, puis fait distribuer ses produits non pas à ses clients, mais à leurs familles -privilégiées - restées à Cuba. Les produits cubains sont ainsi exportés et importés, puis consommés par les Cubains eux-mêmes sans avoir quitté le pays. Grâce à sa possibilité d’importation, l’entreprise rend également accessibles des produits européens à cette partie de la population cubaine. Une stratégie rondement menée, et qui pourtant dans la pratique fonctionne plus ou moins bien.

Même si Mall-Habana fonctionne un peu mieux que ses concurrents, grâce à ses possibilités d’importation, elle souffre des mêmes maux que les autres : des ruptures de stock permanentes et des problèmes de transport récurrents. Car une entreprise même virtuelle demande de la logistique bien réelle pour fonctionner. Ainsi, si vous achetez du café - impossible par ailleurs à trouver dans aucun magasin de La Havane, ni en CUP ni en MLC - le site internet de Mall-Habana peut vous répondre qu’il n’est livrable qu’à Holguin… à l’autre bout de l’île.

Un marché bien supérieur à l’offre

Site d'achat Online Katapulk
Site d'achat Online Katapulk

Les boutiques Online de type Mall-Habana nourrissent un autre effet pervers pénalisant pour la population. Un producteur cubain qui ne produit pas suffisamment - et ils sont tous dans cette situation pour raisons diverses : manque de logistique, cadre juridique non adapté, sur-contrôlé, etc. - va choisir ses clients de préférence à l’étranger, alors même que les besoins locaux ne sont absolument pas couverts par la production locale. La volonté de l’État étant que les entreprises exportent. Ainsi, les fournisseurs cubains de Katapulk, une autre boutique Online, vendent leurs produits à des entreprises étrangères, installées à Cuba ou à l’étranger, sans sortir ces produits du pays étant distribués aux Cubains de Cuba. Ces marchandises sont toujours payées depuis l’étranger, il s’agit donc bien d’exportation. En conséquence, le peu de produits à disposition à Cuba ira en priorité à cette forme de distribution alors que les magasins traditionnels à Cuba resteront désespérément vides. Pour le café qu’on sait introuvable à La Havane, voir le site de Katapulk. On y trouve le meilleur du café cubain d’exportation : Montecristo, Cohiba ou Guantanamera ...

Cette façon étrange d’opérer est très répandue à Cuba. C’est aussi le cas par exemple du service Internet de l’entreprise ETECSA, monopole d’État de la communication. Même s’il est possible d’acheter des Gigas de connexion par package pour tous les Cubains depuis Cuba, la recharge depuis l’étranger est largement stimulée, par des offres de type : recharge double pour le même prix, crédit d’appels téléphoniques gratuit, etc... alors que ces offres ne sont pas disponibles pour le commun des Cubains.

Des devises par tous les moyens

Le peso de Jose Marti face au dollar de Andrew Jackson
Le peso de Marti face au dollar de Jackson

Mais la nouvelle mesure d’application de la monnaie MLC (Monnaie Librement Convertible) est de loin l’exemple de stimulation de l’activité économique depuis l’étranger la plus spectaculaire. En effet, elle concerne directement le moyen de paiement et non le produit lui-même. Ce qui signifie que pour acheter certains produits, et de plus en plus de produits, il faut des devises. La monnaie locale, le CUP, ne permettant pas d’acheter un ventilateur, par exemple. En plus de stimuler la vente depuis l’étranger, on oblige les Cubains à acheter leurs biens de consommation à Cuba avec une monnaie qui n’existe pas dans leur pays, et qui les obligera donc à aller chercher les moyens de faire entrer des devises sur leur compte à Cuba. On comprendra rapidement que cette gymnastique monétaire est en fait réservée à une partie privilégiée de la société cubaine, en relation avec l’étranger, et qu’elle est l’objet d’une spéculation permanente.

Mais pourquoi une telle gymnastique ? Simplement mais inévitablement, pour faire rentrer l’argent nécessaire à l’équilibre économique du pays. Cuba ne crée pas suffisamment de valeurs par elle-même, c’est-à-dire qu’elle ne produit pas et n’exporte pas suffisamment pour encaisser des devises qui lui permettrait par ailleurs d’importer ce dont elle a besoin, et qu’elle ne produit pas. Cuba est prise dans un cercle vicieux : elle ne produit pas, donc non seulement elle n’est pas autosuffisante pour les produits de première nécessité, mais se faisant, elle n’a rien à vendre, elle n’encaisse pas d’argent, et donc elle ne peut pas acheter à l’étranger. En conclusion, moins le pays produit, moins il peut acheter.

En toute logique, on conclut donc qu’il faudrait produire. C’est justement ce que le gouvernement rabâche à longueur de journaux télévisés, conscient de cet impondérable. Dans le monde actuel, produire se traduit par la libre entreprise combinée avec l’assistance de l’État. Dans le cadre économique européen par exemple, l’État plus ou moins présent dans l’activité économique, ponctionne les entreprises pour son propre fonctionnement. En théorie, plus un pays possède d’entreprises plus il s’enrichit avec l’impôt, et donc plus il peut contribuer à la bonne organisation du pays notamment dans les secteurs stratégiques de la santé, l’éducation, la défense, etc. A Cuba ce n’est pas comme cela.

Cuba c’est l’État, et l’économie c’est aussi l’État

L’État ne voit la libre entreprise que comme un substitut de l’économie étatique, en brandissant toujours et encore l’étendard du pays communiste et de la Revolucion. Et même si d’après les chinois l’un n’empêche pas l’autre, Cuba réaffirme en permanence sa volonté de maintenir la place prépondérante de l’État dans la gestion économique.

Cuba doit pourtant sortir du tout subventionné vers une forme cohérente de subvention, concentrée avant tout sur les services traditionnellement de types publics. Hors l’administration actuelle, même si consciente de cette nécessité, a du mal à abandonner les vieux réflexes. Ainsi, l’État se mêle de tout : de gérer les fournisseurs, de monopoliser la petite distribution et les importations, d’organiser le système bancaire, d’orienter la gestion de la culture, et surtout l’État intervient dans la légifération de prix maximum pour pratiquement toutes les transactions entre Cubains.

Cette omniprésence de l’État part d’un bon sentiment : il faut protéger la population. Mais en fait, protéger de quoi ? Des revendeurs du marché noir et des privés en général, de l’inflation qui peut entraîner une escalade de la pauvreté et surtout de la possible déchéance de la Revolucion et d’une dérive vers le capitalisme. Cuba est socialiste et le restera, ce qui induit selon l’interprétation cubaine à une forme patriarcale de gestion, afin que tout le monde bénéficie des mêmes droits.

Seulement, à vouloir tout régenter pour réguler le marché, l’État ne fait que stimuler un autre marché : le marché parallèle ou marché noir. Il s’engouffre dans chaque faille : le manque de liberté des entreprises privées ou étatiques, les monopoles sur les secteurs clés de l’économie comme l’importation ou la petite distribution, la fixation des prix… A chacune de ces mauvaises règles, c’est le marché noir et son lot de dérèglements qui répondent présent. Et au final ce sont bien des disparités sociales qui apparaissent et minent au plus profond l’ensemble de la population cubaine.

Le règne du marché noir

Site de revente de marchandise
Site de revente de marchandise

Alors qu’il cherche à protéger la population en maintenant ses acquis sociaux, en voulant tout gérer, tout contrôler, l’État cubain engendre exactement l’effet contraire.

Dans les temps difficiles surgit toujours le même « sauveur », un mal nécessaire quand plus rien ne fonctionne : le marché noir. Encore lui, toujours lui, depuis plus de 25 ans il règne sur l’économie cubaine. On pensait qu’il vivait ses derniers moments et que la nouvelle économie saurait l’éradiquer… il n’en est rien, au contraire, il serait actuellement au meilleur de sa forme. Dans la rue en ce moment, 1 dollar (USD) vaut 48 pesos (CUP) soit le double de la valeur officielle !

Le marché noir est toujours le signe du mauvais fonctionnement de l’économie officielle. En sortie de crise, il stimule le marché par son dynamisme dû à son absence totale de règle. Ainsi, après la dernière guerre, il a permis de faire redémarrer l’Europe. Les États nouvellement reconstitués, ont bien sûr peu à peu supplanté ce marché sauvage en le remplaçant par l’économie officielle, simplement en légiférant un cadre correct de cette économie. Un cadre lui laissant sa liberté, et permettant aux États d’en profiter tout en protégeant l’ensemble de ses intervenants, mais aussi un cadre suffisamment souple pour permettre à l’économie de se développer, sans tenter de l'interdire ou pire, de l’ignorer.

A Cuba, le marché noir est la règle à tous les niveaux de la société, dans le public comme dans le privé, à tel point que les cubains n’en n’ont même plus conscience. Ainsi, voler dans une entreprise, que ce soit l’essence ou les pièces des véhicules, les déjeuners de la cantine, le papier de l’imprimante… est perçu comme normal, un signe de réussite, et pour le voleur c’est une prise à la source de ce qui lui est dû. Le marché noir se nourrit énormément de ces ressources de l’économie subventionnée. Ainsi, une grande partie de ce qu’achètent ou échangent les Cubains, simplement pour se nourrir, vient des ressources de l’État, normalement destinée à autre chose.

La nouvelle économie est censée en finir avec ces pratiques. En effet, les entreprises volées générant des pertes disparaîtront naturellement. Les subventions en tous genres sont en train de disparaître également ; ainsi les intrants d’une entreprise prendront de la valeur car il lui faudra les acquérir par ses propres moyens, ce qui devrait donc limiter fortement leurs vols.

Certes, c’est sûrement ce qui se passera, la mesure devrait porter ses fruits. Mais alors de quoi vivront tous les cubains si ce n’est au crochet de leur société ? « Facile, répond l’État, on augmente les salaires ! » et pas qu’un peu, ils sont parfois multipliés par cinq.

Augmenter les salaires ne suffira pas à stabiliser la société cubaine. En cas de difficulté ou dysfonctionnement économique, ce n’est jamais l’argent qui manque à la population, sinon de quoi acheter avec cet argent. Et Cuba n’échappe pas à cette règle. Les magasins réels et virtuels sont vides et la demande incontrôlable. De nouveau, un terrain idéal pour le développement du marché noir.

Là encore, la réponse ne se fait pas attendre. Le marché noir s’organise autour de la seule source de biens encore disponible, les boutiques. D’un côté, les magasins traditionnels sont vides et pourtant il y a la queue, monopolisée par les revendeurs, et de l’autre, l’achat sur les sites Online officiels est une véritable épopée pour l’internaute, à Cuba comme à l’étranger. Mais le marché parallèle a aussi envahi le web depuis bien longtemps. Revolico, la plus grande plateforme cubaine de revente ne cesse d’augmenter ses offres, du papier hygiénique à la moto, c’est sur Revolico ! Le nouveau métier des Cubains, revendeur, consiste à faire la queue pendant des jours pour acheter quoi que ce soit dans les magasins et de revendre ces marchandises sur Revolico.

Ceux qui en ont et ceux qui n’en n’ont pas

Les pesos cubains
Les pesos cubains

C’est la distorsion des capacités d’achat entre ceux qui ont des MLC, c’est à dire une source de devises et donc un contact avec l’étranger, et ceux qui n’ont pas cette chance, qui provoque le plus d’interrogations quant aux possibilités de réduire les dysfonctionnements économiques actuels.

Et c’est une autre aubaine pour notre fameux marché noir. Ces disparités sont en effet une autre de ses spécialités. Alors que l’État, provoque de vraies différences sociales aux niveaux de l’acquisition de biens de première nécessité, le marché noir est là pour apporter sa solution afin de réparer cette injustice. Oui, mais à quel prix !

Le prix du marché noir, c’est le prix du marché naturel, sans contrôle, qui permet tout, aussi bien les abus que les vrais services.

Dans le registre des abus, nous avons celui qui provoque les queues devant les magasins. Elles sont à la dimension de n’importe quelles crises qui secouèrent les économies tout au long de l’Histoire.

Mais à Cuba, elles sont stimulées, voire provoquées par les acteurs du marché noir, et pas seulement dans les boutiques de première nécessité vendant en monnaie locale, non, ces queues se forment de la même manière devant les boutiques en MLC, censées ne vendre que par carte de crédit dans une monnaie étrangère à Cuba. Ce qui donne la dimension des manques concernant les biens de consommation, quels qu’ils soient.

C’est ainsi que les détenteurs de carte de crédit en MLC monopolisent les accès à ce type de magasins, achètent et accumulent les biens, souvent de connivence avec les gérants de ces établissements, et revendent à ceux qui n’ont pas de carte de crédit, au double voire au triple du prix étiqueté. Et cela fonctionne, car le principe de tout marché - et le marché noir est avant tout un marché - c’est l’équilibre entre l’offre et la demande, c’est à dire le contrat entre deux personnes, sans aucun intermédiaire. L’un propose et l’autre accepte, ou pas. C’est la base de l’économie capitaliste, l’économie tout court ! Et c’est précisément ce que l’État cubain a du mal à admettre.

C’est bien à cause des carences engendrées par l’État qui monopolise les importations et la distribution, que le marché noir peut envahir tous les marchés, en CUP ou en MLC, dans les magasins ou sur le Web, et peut donc en conséquence imposer des prix exorbitants. Si ces carences ne sont pas comblées, de la seule manière qui soit c’est-à-dire en produisant, ce monopole de l’État dans les secteurs de production et distribution continuera à provoquer de vraies différences au niveau de la population.

L’économie de marché est égalitaire, comme le communisme

L’économie de marché est gérée par le marché lui-même, aucun tiers, pas même un État ne peut la diriger. C’est la règle. Le prix d’une chose est décidé entre l’acheteur et le vendeur. Les États peuvent imposer certaines règles pour encadrer les transactions, protéger les uns et les autres en interdisant la vente à perte par exemple, imposant ainsi des prix minimums, mais en toute logique, les États ne décident pas de la politique commerciale de leurs acteurs économiques. S’il veut fixer les prix, l’État doit vendre lui-même, et dans ce cas on considère ce produit comme subventionné. Par exemple en France comme à Cuba, c’est le cas du secteur de la santé, du transport public ou dans une moindre proportion de certaines formes de production d’énergie (solaire, gaz…).

A l’opposé de cette logique, Cuba impose des prix maximum aux acteurs économiques, publics ou privés. On voit ainsi fixé le prix du pain, des salades, mais aussi des voitures ou du rhum. L’État fixe aussi, et c’est plus grave, des salaires maximum - et non minimum – aux entreprises ainsi que des quotas dans les ressources humaines ou pour les moyens de transport. Une entreprise à Cuba ne peut donc pas décider de l’essentiel de sa stratégie, ni de sa politique commerciale, ni de la gestion de sa rentabilité. La libre entreprise n’est pas seulement le fait de pouvoir entreprendre, mais une fois acquis une activité économique, c’est le fait de pouvoir gérer librement cette activité, en fonction du marché et non en fonction de l’État. Le cadre de l’État est important pour l’harmonie générale de son économie et son rôle est de veiller à sa prospérité, mais l’État ne peut pas prétendre gérer lui-même les entreprises.

Une entreprise à Cuba ?

Cuba certes propose aujourd’hui de nombreuses opportunités pour entreprendre, surtout pour les étrangers, mais pas assez pour les cubains eux-mêmes. Un Cubain n’a pas le droit de créer une entreprise, un étranger, si. Au sens juridique, un Cubain ne peut pas constituer une personne morale, son entité ne peut être qu'une personne physique et en conséquence son activité économique se cantonnera légalement au petit artisanat.

Ces nouvelles propositions de création d'entreprise sont donc réservées avant tout aux étrangers. Elles se doivent d'être très atractives et rassurantes pour les futurs entrepreneurs, notamment sur leur possibilité à prospérer, c’est-à-dire d’avoir l’entière autonomie de leur gestion, et pouvoir compter sur un cadre social et juridique stable (formation des collaborateurs, politique salariale, contrats…), ainsi que d’une logistique générale et des infrastructures performantes (transport, importations, construction, gestion des fournisseurs…).

Le peu d’entreprises qui participent aujourd’hui activement à l’économie cubaine ont leur maison-mère ou du moins une succursale installée en dehors de Cuba, dans un cadre propice à leur développement. C’est le cas non seulement des entreprises étrangères, mais aussi des entreprises cubaines performantes. Que ce soit le savoir-faire, la clientèle ou encore les fournisseurs, il y a toujours un de ces éléments clés de l'entreprise cubaine qui est à l'étranger, comme si aucune de ces entreprises ne se suffisaient à elle-même.

Les artisans cubains avec leur petites activités eux si sont autonomes et développent seul, avec les moyens cubains, un marché cubain. Ce tissu d'activités est le terreau de l'économie cubaine, justement parce ces activités, de part leur autonomie, créent des valeurs. C'est le marché intérieur créé de l'intérieur. Et si on ne les laisse pas prospérer et croitre librement, le terreau ne sera pas suffisant pour faire pousser une économie plus solide avec des entreprises plus importante.

La conscience collective de l’économie

L'unification monétaire
L'unification monétaire

Les changements économiques servent avant tout les intérêts de la macro économie de l’État, le plan paraît fonctionner. Mais ces mesures brident toujours autant la libre entreprise, la seule vraie mesure qui permettrait de produire des valeurs et donc de sortir le pays de la crise. Pourtant, la libre entreprise devrait être complètement intégrée à ce plan de changement. Elle l’est sur le papier en apparence, mais ses mesures d’intégration ne sont pas suffisamment profondes et structurelles. L’intégration au marché ne peut être vue en demi-mesure.

L’État cubain est entré dans un dilemme permanent, mais n’en a pas conscience, convaincu de sa bonne volonté, de sa politique et de sa stratégie de changement. Et c’est vrai que le plan est bien monté, réfléchi de longue date et ambitieux. Mais ce ne sera toujours qu’un plan et donc de la théorie. Le passage à la pratique révèle systématiquement l’incohérence entre la volonté de changement économique et le maintien de l’emprise de l’État sur tous les aspects de la vie des Cubains.

Le changement économique est nécessaire pour intégrer Cuba au reste du monde. Il est bien enclenché avec, non pas l’unification des monnaies sinon avec la standardisation de la comptabilité des entreprises à l’échelle du pays. Les entreprises cubaines devront être rentables désormais ou elles disparaîtront, tout comme dans n’importe quel autre pays. C’est la base de la réforme et le début du changement. En ce sens, Cuba se modernise et abandonne la subvention systématique de toutes ses activités économiques.

Le plan prévoit aussi une spectaculaire augmentation des salaires pour combler les déficits que pourrait créer cette nouvelle logique économique au sein des familles. Mesure qui ne fera que stimuler l’inflation. Le salaire est une conséquence de la production et du travail rentable, ce n’est pas un moyen de compensation de la vie chère.

Ce super plan pourrait fonctionner, non sans difficulté, mais avec des sacrifices et efforts en tout genre et durant une longue période d’implantation nécessaire - plusieurs années - générant toutes sortes d’incertitudes et de déstabilisations. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs …

Ce plan demanderait surtout pour fonctionner l’aide de tous les Cubains, non pas en marge de la société comme le fait aujourd’hui le marché noir, mais bien en intégrant de nouveaux espaces propices au développement économique. Cette liberté d’entreprendre passe nécessairement par l’autonomie, encadrée certes, de ses participants.

De la même manière que Fidel Castro convoqua en son temps toute la population pour toutes sortes d’actions de développement social : alphabétisation, agriculture massive, conflits armés internationalistes puis brigades de travailleurs et pas seulement de médecins, aujourd’hui le gouvernement cubain devrait convoquer la société pour que celle-ci prenne en main cette nouvelle économie, grâce à la libre entreprise. Hors c’est loin d’être le cas. L’État, en grande majorité, reste seul maître à bord.

Car même si le plan prévoit la création d’entreprises, celles-ci se limitent à certains secteurs et dans des cadres juridiques qui empêchent tout développement. Les investissements sont réservés aux étrangers, les Cubains n’ont accès qu’à un système bancaire complexe et qui permet une forme de prêts très limitée. Les fournisseurs, ainsi que les importations de matières premières sont monopoles d’État. En un mot, le secteur privé est bridé, les cubains, comme les entreprises étrangères, ne peuvent donc pas vraiment participer à l’évolution économique du pays. L’État, pris à son propre jeu, devra encore assumer seul cette évolution tout en préservant les acquis sociaux de la Revolucion …

Pourtant, il parait peu réaliste de penser qu'il y aura une évolution économique sans la participation massive des Cubains. Cette participation se traduirait par la confiance sans condition de l’État envers sa population et ses capacités à entreprendre. Et c'est le fond du problème, un véritable schisme entre les Cubains et leurs gouvernants. Cette relation est aux antipodes du message officiel et de la propagande télévisée. C’est celle, dans sa grande majorité, d’un sentiment de défiance, ou pire de désintérêt total pour la politique économique censée créer la base de la société des générations futures.


Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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