L'Église catholique à Cuba (III) : une nouvelle étape d'ouverture
Partie 3 : Le chemin accidenté de l'Église Catholique à Cuba
Dans les années 80, le gouvernement de Cuba a commencé un processus de « rectification des erreurs et des tendances négatives », après une décennie de forte institutionnalisation, nuancée par des périodes de marginalisation d'intellectuels, de religieux et d'autres personnes éloignées de l'orthodoxie officielle.
L'Église catholique a débarqué à Cuba en 1511 avec la colonisation espagnole. À côté des conquérants, quatre moines ont traversé l'île lors des expéditions qui ont scellé la domination de l'Espagne. « Sur le même chemin la croix et l'épée, et une soif insatiable d'or dans le cœur [...] », comme l’a écrit le père Bartolomé de las Casas, défenseur des populations aborigènes exterminées. Cette contradiction a marqué l'existence du catholicisme dans ce pays caribéen. L'Église a survécu à la fin d'un Empire, à la décadence d'une République et aux contradictions d'un système socialiste ; elle n’est jamais restée au-dessus de la mêlée, mais elle est plongée dans les cinq siècles d'une histoire nationale agitée. Cubanía vous raconte cette histoire en trois parties. Dans ce troisième épisode, on s'intéresse à l'actualité de la religion catholique à Cuba, et à comment la relation entre religion et socialisme dans le pays a évolué à l'époque contemporaine.
La tentative de réforme du socialisme cubain a été accompagnée de signes de reconnaissance de la part de la communauté catholique. Ses relations avec les autorités ont amorcé une période de détente, seulement interrompue par quelques crises dans les années 90.
Bien avant, en 1969, les deux parties avaient trouvé leur premier terrain d’entente en condamnant l'embargo des États-Unis. Cette année là, la Conférence Épiscopale Cubaine s'était manifestée contre cette politique de restrictions économiques et financières en vigueur depuis 1962.
La présence du Nonce Apostolique Cesare Zacchi à La Havane, dans les années 60, a aussi contribué à apaiser les tensions. Zacchi a maintenu une relation personnelle avec le président Fidel Castro, leur penchant commun pour la pêche sous marine leur permettant d'échanger leurs opinions en dehors des espaces officiels.
L'Église Catholique s’ouvre à la société
Toutefois, ce n'a été qu’en 1986, avec la célébration de la Rencontre Nationale Ecclésiale Cubaine (ENEC), que l'Église Catholique a ouvertement exprimé sa sympathie pour certains aspects du régime socialiste.
Selon les documents du conclave, le socialisme cubain avait aidé l'Église « […] à mieux considérer l’être humain ; acquérir une plus grande conscience de la dimension sociale du péché, particulièrement face aux différentes formes d’injustice et d’inégalité ».
Il nous a appris à donner par justice ce qui, avant, était donné par charité ; à mieux apprécier le travail, non seulement comme facteur de production, mais aussi comme élément de développement de la personne ; à comprendre la nécessité des changements structurels pour une meilleure distribution des biens et des services ; à rendre propice un plus grand don de soi et une aide solidaire envers les autres.
L'ENEC a marqué la fin d'une période de repli de l'Église, recluse dans une dimension culturelle qui l'avait éloignée des problèmes sociaux. Les 121 délégués de tous les diocèses du pays ont décidé d'une action plus ouverte sur le monde, sur la base de trois piliers fondamentaux : la prière, la solidarité et la tâche missionnaire.
La fin de l'athéisme officiel
Bien que le processus de « rectification des erreurs » ait avorté avec la chute du socialisme en Europe de l'Est et la disparition de l'Union Soviétique, l'État cubain a compris qu’il était nécessaire de lever certaines barrières sociales. Sans la tutelle de Moscou, les autorités de La Havane ont pu mettre en œuvre une politique plus conforme à la réalité d'un pays dont la population n'a jamais abandonné ses croyances.
Le premier pas en ce sens a été le quatrième Congrès du Parti Communiste de Cuba (PCC) à Santiago de Cuba en octobre 1991. Le grand rendez-vous des communistes cubains a approuvé l'entrée des croyants dans ses rangs.
Lors d’une déclaration à la presse, le président de l'Union des Écrivains et des Artistes de Cuba (UNEAC), Abel Prieto (actuel ministre de la Culture), a assuré que la mesure voulait éradiquer « […] tout type d'élément sectaire de son schéma de travail (du PCC) et que toute forme de discrimination soit éliminée, quelle soit philosophiques, politiques ou religieuses, etc... »
Ce geste d'ouverture a été confirmé un an plus tard par l'Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, le plus haut organe législatif de Cuba. La réforme constitutionnelle de 1992 a inclus la déclaration du caractère laïc de la société cubaine, auparavant, officiellement athée, la reconnaissance de la liberté religieuse et la condamnation de tout acte discriminatoire pour ce motif.
Ainsi, en quelques mois, le gouvernement a mis fin à 30 ans de politiques religieuses contestées. Crucifix, colliers des saints, autels et images pieuses sont réapparues dans les maisons et dans les rues, également stimulé par la crise économique. Les gens cherchaient dans le surnaturel les réponses que le discours officiel, souvent éloigné de la dure réalité, ne pouvait pas leur donner.
Aujourd'hui le kaléidoscope religieux de Cuba reflète la superficialité de l'orthodoxie athéiste. Dans ce pays caribéen coexistent les églises protestantes, les religions d'origine africaine, le spiritisme, le catholicisme et d’autres expressions religieuses arrivées avec les migrants et perpétuées par leurs descendants, comme le judaïsme, le vaudou haïtien et les croyances des émigrants chinois.
« El amor todo lo espera »
Le 8 septembre 1993, le Conseil des Évêques Catholiques de Cuba a publié la Charte Pastorale « El amor todo lo espera ». L'île venait de passer l'été le plus angoissant de son histoire contemporaine. L'économie était encore bouleversée, les coupures d'électricité duraient jusqu'à 16 heures, la pénurie s'étendait de l'alimentation au transport, le pays vivait dans le fond d'un abîme dont on apercevait à peine la sortie.
Dans leur longue missive, les évêques ont offert leur vision des graves problèmes nationaux, comme l'émigration, la récession économique, la baisse de moral des personnes et l'effet de la crise sur les familles. Ils ont demandé expressément à établir un dialogue entre tous les Cubains.
Nous, les Cubains devons résoudre les problèmes entre nous, à Cuba. Nous devons nous demander sérieusement, pourquoi tant de Cubains veulent partir et partent de la Patrie ? Pourquoi certains renoncent, dans leur Patrie, à leur propre citoyenneté pour une citoyenneté étrangère ?
Le texte ajoutait : « Le beau et fertile sol de notre île, la Perle des Antilles, a cessé d'être la terre mère, comme fatigué et incapable de nourrir ses fils avec ses doubles récoltes des fruits les plus ordinaires comme la citrouille et le yucca, la malanga et le maïs, et des fruits qui ont rendu célèbre notre sol fertile. Le peuple se demande comment il est possible que ces choses manquent et qu’elles coûtent si cher. »
L’Épiscopat, qui ne souhaitait pas devenir une alternative politique, critiquait certaines pratiques officielles et appelait à éradiquer « le caractère exclusif et omniprésent de l'idéologie officielle, qui amène à l’identification de termes qui ne peuvent pas être univoques, comme : Patrie et socialisme, État et Gouvernement, autorité et pouvoir, légalité et moralité, cubain et révolutionnaire. »
Au centre de la proposition de la haute hiérarchie catholique il y avait la nécessité d'ouvrir un dialogue social incluant tous les Cubains, même s'ils résidaient à l'étranger. « Un dialogue non seulement de compañeros, mais d'amis à amis, de frères à frères, de Cubains à Cubains que nous sommes tous, des Cubains « qui se comprennent en parlant » et en pensant ensemble nous serons capables d'arriver à des compromis acceptables. »
La Pastorale a mis le doigt sur certaines des blessures les plus douloureuses du moment, provoquant une réponse musclée de la part du gouvernement et de ses médias. Le président Fidel Castro a publié une réponse dans le journal officiel Granma, dans laquelle il affirmait qu'on écouterait « […] les critères, même discordants, de ceux qui sont sincèrement intéressés à promouvoir notre œuvre de progrès social, mais ceux qui cultivent l'insinuation, servent l'ennemi et trahissent leur peuple et leur Patrie ne mériteront jamais notre respect ni ne seront écoutés. »
Les relations entre l'Église et l'État se sont tendues à nouveau pendant environ trois ans jusqu'aux premiers préparatifs de la visite du Pape Jean Paul II.
La visite du Pape Jean Paul II
Le Pape Jean Paul II est venu à Cuba entre le 21 et le 25 janvier 1998. Le plus haut représentant de l'Église Catholique a célébré des messes devant des foules à La Havane, Santa Clara, Camagüey et Santiago de Cuba. En outre, il a rencontré des intellectuels dans l’Amphithéâtre de l'Université de La Havane et a visité la léproserie d’El Rincón, dans la périphérie de la capitale.
Peu après son arrivée, le Souverain Pontife a assisté à une rencontre privée avec Fidel Castro au siège du Conseil d’État. Avant de partir, il a aussi rencontré des évêques et des membres de la communauté catholique cubaine. Ses paroles lors de la cérémonie de bienvenue ont été rappelées en de nombreuses occasions, comme l’expression d'un désir à accomplir :
Que Cuba s’ouvre au monde avec toutes ses magnifiques possibilités et que le monde s’ouvre à Cuba, pour que ce peuple, qui comme tout homme et nation cherche la vérité, travaille à aller de l’avant, aspire à l’harmonie et à la paix, puisse regarder le futur avec espoir.
Le périple de Jean Paul II a eu des conséquences immédiates sur l'activité de l'Église et ses relations avec le gouvernement cubain. Dès lors, le nombre de publications catholiques a augmenté, ainsi que l'accès de l'Église aux médias d'Etat, surtout à l'occasion des festivités telles que le jour de la Vierge de la Caridad del Cobre le 8 septembre, ou de la Nativité déclarée jour férié en 1997. En plus, les autorités ont autorisé la célébration des processions, alors que sont apparus de nouveaux diocèses et des maisons de prières dans les villages et les villes.
Une médiation inédite
Avec l’arrivée de Raúl Castro à la présidence du Conseil d’État, en février 2008, Cuba a commencé à expérimenter des changements guidés par un plus grand pragmatisme, quant à l'économie, la politique et, évidemment, la vie quotidienne de ses habitants.
Un exemple significatif de cette orientation a été la négociation commencée le 19 mai entre le gouvernement et la hiérarchie de l'Épiscopat, en la personne du cardinal Jaime Ortega et de l'évêque Dionisio García, pour libérer 52 des 75 dissidents jugés et emprisonnés en 2003.
Le dialogue, soutenu aussi par l'Espagne, a donné lieu presque immédiatement à une série d'élargissements, qui ont inclus non seulement des condamnés lors des procès sept ans auparavant, mais aussi d'autres détenus accusés de piraterie, de terrorisme ou d’autres activités contre la sécurité de l'État.
Les résultats de cette entente, et les sourires télévisés de Raúl Castro et de Jaime Ortega alors qu’ils parcouraient ensemble le nouveau séminaire de San Carlos et San Ambrosio, inauguré récemment dans les alentours de La Havane, annoncèrent, la fin de leurs divergences et l'ouverture d'une nouvelle ère dans laquelle l'Église catholique pourrait occuper à nouveau une place très proche du pouvoir dans la plus grande île des Caraïbes.
Cubanía
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