Facebook Instagram Twitter

Un voyage au XIXème siècle (IX) : les combats à la capitale

Épisode 9 : des épisodes de la guerre d'indépendance à Cuba

Auteur:
Georges Caron
Date de publication:
22 novembre 2022

Dans le neuvième épisode du reportage du XIXe siècle de M. Caron à Cuba, l’auteur relate, à travers deux lettres qu’il a reçues, les combats révolutionnaires dans la Capitale cubaine.

Cubanía partage un reportage de l'écrivain Georges Caron sur son voyage à La Havane du XIXe siècle, publié en avril 1897 dans la revue le Monde moderne. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… C'est également un bon témoin de l'histoire de Cuba. Dans les derniers épisodes, il raconte des passages de l'histoire de l'île, en pleine guerre d'indépendance. Présentés chronologiquement en 10 épisodes, voici le neuvième épisode :

Une lettre de la Havane m'est arrivée. J'en donne quelques extraits :

« Je vous écris d'une ville morte, aux magasins fermés, aux maisons vides. Seule un peu de vie subsiste autour du Morro, la sinistre forteresse qui domine la rade et où tous les jours, par longues files, pénètrent des théories de prisonniers, qu'on ne voit plus jamais reparaître. C'est la fin de tout, la mort de tout ! Un poulet coûte vingt francs, cinq francs un litre de lait, trois francs un pain ! Ceux qu'épargnent les balles, le vomito ou l'épouvantable loi des suspects vont hâves, maigris, titubant par les rues, crevant de faim. Dans le bas peuple l'on croit à la fin du monde et l'on prie. Dans les classes riches, l'on se sauve.

Dans l'armée, l'on regrette les sierras neigeuses de la mère-patrie, l'on meurt... ou l'on déserte : chez les insurgés, on mange au moins. Et pour comble de malheur, voici la saison des pluies, des coups de vent empestés de vomito, des orages détrempant le sol, noyant tout. On a percé une porte au mur qui sépare l'hôpital du cimetière. La nuit seulement on enfouit les morts, loin du regard des vivants ! Cela eût aidé à la démoralisation de voir les cadavres. Sage précaution ! Dans un seul jour, trois cent quatre-vingts soldats sont morts ! »

« Dans la campagne, les ruines s'entassent sur les ruines. Tout est brûlé ou tout brûle. Fondus les stocks de sucre, coupées les cannes, démolies les maisons, sautés les ponts, éventrées les routes ! C'est l'abomination de la désolation ! Et des cadavres partout croupissent au soleil, déchiquetés à voir ! De loin, on les devine au vol des corbeaux engraissés ! »

L'édition du Monde moderne dans la bibliothèque populaire d'Albert QuantinNé en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, située au 7 de la rue Saint Benoit, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ». C’est de cette dernière collection que sont présentés les tomes successifs du « Monde Moderne » édités chaque semestre. En éditant à partir de 1895 cette « bibliothèque populaire », Albert Quantin créé une collection destinée à un large public et regroupant des textes d’écrivains plus ou moins célèbres sur des sujets d’actualité tels que la littérature, l’histoire, le commerce, le sport ou les voyages. L’éditeur avait la volonté d’en faire la revue qui reflétait le mieux son temps. Ce « reportage » du français Georges Caron y a été publié en avril 1897. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Évidemment, le tableau se place 11 ans seulement après la mise en pratique de l’abolition de l’esclavage. Quant à l’égalité « officielle » entre Noirs et Blancs, elle ne date que de 1893, soit 4 ans avant cette chronique… C’est pourquoi on se doit de garder à l’esprit la date de rédaction de cette chronique et Cubanía a choisi de la publier « tel quel », sans occulter les références et rapports de l’époque.

« Oh ! L’atroce guerre, l'épouvantable guerre ! Depuis de longues semaines, une troupe espagnole croupit dans une caserne. Rassemblement. Macéo est dans les environs. Il s'agit de le surprendre, l'entourer, l'anéantir. Enfin ! Les soldats, joyeux, marchent en longues files. Les voilà sous bois... Qu'a donc celui-là ? Il porte brusquement les mains à ses entrailles, tombe, se roule, hurle ! Et cet autre, qui se casse en deux, et sur la mousse, devient vert, devient noir, vomit un flot de sang ? Serrez, serrez ! disent les chefs. Les hommes serrent et se signent : le vomito ! On continue la marche. — Silence et chargez les armes ! Voyez-vous ces fumées, là-bas, c'est Macéo ! On bondit ! Rien ! Plus personne ! Que les débris d'un foyer à peine éteint ! Macéo s'est envolé ! — De rage, l'on pleure, l'on se tue parfois, et la route, au retour, se fait sinistre, dans l'enjambée des camarades morts, verts déjà, couverts de mouches. — Les rangs flottent : soudain un cri : feu ! Une décharge part du ciel, de la terre, des arbres, de partout ! Un second cri : « Au machette, au sabre ! » Et c'est un tourbillon d'êtres moitié nus, de diables ne faisant qu'un avec leurs chevaux, qui coupent la ligne espagnole, frappent, massacrent ! Sauve qui peut ! Cinq minutes, et de la troupe espagnole, il ne reste qu'un troupeau éperdu, en loques ».

« Le lendemain on recommence. L'Espagnol a du cœur. On recommence le surlendemain. Rien, rien, toujours ! Et pire que les balles, pire que le vomito, la gangrène de la démoralisation gagne l'armée. J'en ai vu pleurer dans les rues de la Havane, de beaux jeunes hommes de vingt ans, vêtus de malpropres uniformes de toile blanche. »

Au terrible décret pris par le général Weyler, et qui peut se résumer en ceci : ‟ Tous les bandits seront fusillés — et tous les Cubains sont des bandits ˮ, la junta révolutionnaire a répliqué par : ‟ Tous les bandits sont fusillés et tous les Espagnols sont des bandits. ˮ C'est la loi du talion dans toute sa rigueur : œil pour œil, dent pour dent ! »


Le Monde moderne

Le Monde moderne est une revue mensuelle illustrée généraliste française fondée en1895et disparue en1908. En janvier 1895 sort à Paris, chez Albert Quantin, au 5 de la rue Saint-Benoît le premier numéro d'une nouvelle revue mensuelle illustrée, le Monde moderne. Né en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Située 7 rue Saint-Benoît, la fabrique est agrandie par Albert Quantin qui lui ajoute les numéros 5, 9, et 11. Le développement d'ateliers de reproduction, de taille-douce et de gravure, grâce à l'achat d'un matériel de pointe, lui permet de se spécialiser dans le livre d'art et de s'imposer dans le domaine des ouvrages illustrés de luxe. À sa qualité d'imprimeur il ajoute celle d'éditeur et travaille à la constitution d'un catalogue riche et varié. Dans le domaine des beaux-arts, il édite les œuvres complètes de Manet, Rembrandt, Boucher, Van Dyck ; en littérature, il réunit en de beaux volumes illustrés les œuvres de Balzac, Flaubert, George Sand, Vallès ou Goethe. Associé au célèbre Jules Hetzel, il publie également les œuvres complètes de Victor Hugo. Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ».

tous les articles

Vous aimerez aussi