Un voyage au XIXème siècle (VII) : les Américains à Cuba
Épisode 7 : Le Sugar-Trust et les Américains dans l'économie cubaine
Auteur:
Georges Caron
Date de publication / actualisation:
1 novembre 2022
Dans le septième épisode du reportage du XIXe siècle de M. Caron à Cuba, l’auteur explique comment les Américains se sont enrichis à Cuba.
Cubanía partage un reportage de l'écrivain Georges Caron sur son voyage à La Havane du XIXe siècle, publié en avril 1897 dans la revue le Monde moderne. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Présentés chronologiquement en 10 épisode, voici le septième épisode :
À différentes reprises, j'ai causé avec des propriétaires de l'île. Ils ne tarissent pas sur la fertilité de Cuba. Du sol, du climat, on peut tout attendre. Leur seul ennemi, c’est le régime fiscal qui les étrangle quand les moissons sont belles, les tue pour peu qu'un cyclone, de trop grandes pluies, ou la redoutable sécheresse aient diminué la production agricole. À Cuba, un propriétaire doit payer à X, Y, Z, à propos de tout et tout le temps. Comme l'eau d'un vase brisé, les revenus s'écoulent par mille fêlures. En cas de refus, gare les vexations, gare les taquineries, la culbute fatale pour finir. Mieux vaut payer.
Deux millions d'habitants, au plus, peuplent Cuba. Sans se donner beaucoup de mal, Cuba pourrait en nourrir quatre fois plus. Un dixième à peine du sol est défriché. Le centre de l'île, où la couche arable a plusieurs mètres de profondeur, est totalement inculte, géographiquement inconnu même ou peu s'en faut. Pas de routes. L'heureux à Cuba est le spéculateur et le fonctionnaire. Les familles aristocratiques de la Havane se vengent d'eux en ne les recevant pas. Ils deviennent cosmopolites.
Je n'apprendrai rien en disant que les plus grosses richesses de Cuba, « les deux mamelles » qui la font vivre, sont ses sucres et ses tabacs. Peut-être intéresserai-je cependant mes lecteurs en leur parlant du Sugar-Trust, syndicat américain des sucres.
L'édition du Monde moderne dans la bibliothèque populaire d'Albert QuantinNé en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, située au 7 de la rue Saint Benoit, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ». C’est de cette dernière collection que sont présentés les tomes successifs du « Monde Moderne » édités chaque semestre. En éditant à partir de 1895 cette « bibliothèque populaire », Albert Quantin créé une collection destinée à un large public et regroupant des textes d’écrivains plus ou moins célèbres sur des sujets d’actualité tels que la littérature, l’histoire, le commerce, le sport ou les voyages. L’éditeur avait la volonté d’en faire la revue qui reflétait le mieux son temps. Ce « reportage » du français Georges Caron y a été publié en avril 1897. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Évidemment, le tableau se place 11 ans seulement après la mise en pratique de l’abolition de l’esclavage. Quant à l’égalité « officielle » entre Noirs et Blancs, elle ne date que de 1893, soit 4 ans avant cette chronique… C’est pourquoi on se doit de garder à l’esprit la date de rédaction de cette chronique et Cubanía a choisi de la publier « tel quel », sans occulter les références et rapports de l’époque.
Le Sugar-Trust est la conception la plus merveilleuse que oncles yankees réalisèrent. Vous ramassez quelques centaines de millions et vous achetez, entre 3 et 4 francs les vingt-cinq livres, les sucres, tous les sucres des États-Unis. Reste à les vendre. La chose est aisée si on veut se contenter d'un bénéfice normal. Mais Jonathan ne veut pas l'entendre de cette oreille, il lui faut 200 pour 100.
Que faire ? Bien simple : raréfier la marchandise ; les demandes dépasseront les offres ; les prix monteront, monteront. Mais pour raréfier la marchandise ? De plus en plus simple. Le plus grand producteur de sucre est Cuba, qui en donne 1.200.000 tonnes : si nous supprimions Cuba ? Toujours de plus en plus simple. — 15 millions de dollars sont donnés à la junta révolutionnaire cubaine à New-York.
Un mois après, les insurgés tiennent la campagne. Ils coupent les récoltes sur pied, fondent en caramels les stocks de sucre. Ils font ainsi leur jeu, qui d'affamer l'Espagne en même temps qu'ils font le jeu de Sugar-Trust.
Histoire
Un voyage au XIXème siècle (VIII) : notes sur l'histoire et la révolution
Le Monde moderne est une revue mensuelle illustrée généraliste française fondée en1895et disparue en1908. En janvier 1895 sort à Paris, chez Albert Quantin, au 5 de la rue Saint-Benoît le premier numéro d'une nouvelle revue mensuelle illustrée, le Monde moderne. Né en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Située 7 rue Saint-Benoît, la fabrique est agrandie par Albert Quantin qui lui ajoute les numéros 5, 9, et 11. Le développement d'ateliers de reproduction, de taille-douce et de gravure, grâce à l'achat d'un matériel de pointe, lui permet de se spécialiser dans le livre d'art et de s'imposer dans le domaine des ouvrages illustrés de luxe. À sa qualité d'imprimeur il ajoute celle d'éditeur et travaille à la constitution d'un catalogue riche et varié. Dans le domaine des beaux-arts, il édite les œuvres complètes de Manet, Rembrandt, Boucher, Van Dyck ; en littérature, il réunit en de beaux volumes illustrés les œuvres de Balzac, Flaubert, George Sand, Vallès ou Goethe. Associé au célèbre Jules Hetzel, il publie également les œuvres complètes de Victor Hugo. Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ».