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Un voyage au XIXème siècle (III) : la religion à La Havane

Épisode 3 : La Havane retour vers le passé : les traditions religieuses

Auteur:
Georges Caron
Date de publication:
13 octobre 2022

Dans le troisième épisode du reportage du XIXe siècle de M. Caron à Cuba, l’auteur raconte le culte pieux de la ville.

Cubanía partage un reportage de l'écrivain Georges Caron sur son voyage à La Havane du XIXe siècle, publié en avril 1897 dans la revue le Monde moderne. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Présentés chronologiquement en 10 épisode, voici le troisième épisode :

De l'Opéra passer aux églises, il n'y a qu'un pas, étant donné le côté théâtral du culte à La Havane. On va à l'église, comme on va à l'Opéra, certains jours et certaines heures, quand les cloches sonnent leur appel populaire « Tan, tan, tan, tan. Juanica la viega no tiene futan. (Tan, tan, tan, tan. Jeanneton la vieille, n'a pas de jupon). » Les femmes se mettent en grande toilette et se font suivre d'un négrillon qui porte le prie-Dieu et le missel. Parfois elles prient à l'église ; toujours elles y flirtent.

La semaine sainte à La Havane a une couleur toute particulière. Le jeudi, à dix heures, un coup de canon part de la forteresse du Morro. Instantanément, la ville devient une ville muette, une ville morte. Pas un bruit, pas un cri, pas une voiture, pas une gamme. Seul, dans les rues, le pas cadencé des soldats que, compagnie par compagnie, on mène aux offices.

Le samedi, à dix heures, autre coup de canon du Morro. Comme la Valkyrie au contact de l'épée de Siegfried, la ville se réveille. Une immense clameur retentit. Les cloches sonnent à toute volée. Les jeunes filles, à leur piano — et il y en a vingt mille à La Havane! — jouent la Marche royale. Les cochers galopent leurs chevaux en jurant et vociférant plus encore que d'habitude : n'ont-ils pas les économies de quarante-huit heures de silence à dépenser. Et, ce qui est moins drôle, une fusillade générale éclate — fusillade à blanc, en principe, bien entendu, car, en réalité certains n'hésitent pas à glisser une balle dans le canon de leurs fusils, à supprimer quelque individu gênant, quitte à mettre le tout sur le compte d'un accident!

L'on se rend en foule à l'église pour assister à l'office des ténèbres, entendre surtout le sermon des Siete palabras (sept paroles) sermon qui dure trois heures. La septième parole vient d'être proférée : le Christ a rendu le dernier soupir. C'est un effroyable tumulte qui éclate alors dans la sacristie, symbolisant le tremblement de terre qui, sur le Golgotha, accompagna la mort de Jésus. Les femmes crient, pleurent, se trouvent mal. Pick-pockets de cœurs, ou pick-pockets de bourses, les hommes se précipitent pour leur porter secours. La scène est inénarrable.

Dans un pays d'origine espagnole, il ne peut y avoir de cérémonie religieuse sans « abomination » de ces chiens de Juifs « perros de judios ». Cette abomination nous reporte aux plus beaux jours de Torquemada. Dans toutes les maisons, les enfants fabriquent des mannequins en osier représentant des Juifs, et y mettent le feu. L'œuvre de feu consommée, on processionne pour purifier l'air. D'une église part la Vierge du Bon secours « nuestra señora de los Remedios » ; de l'autre, l'Enfant Jésus. Les deux cortèges doivent se trouver à heure fixe, à endroit indiqué. Un des cortèges arrive-t-il en retard ? l'autre l'injurie. Des exclamations éclatent où l'on fait entrer — et en quels termes ! — la Vierge et l'Enfant Jésus ! C'est à qui aura le plus beau cortège, la plus belle statue. Jalousie de paroisses !


Le Monde moderne

Le Monde moderne est une revue mensuelle illustrée généraliste française fondée en1895et disparue en1908. En janvier 1895 sort à Paris, chez Albert Quantin, au 5 de la rue Saint-Benoît le premier numéro d'une nouvelle revue mensuelle illustrée, le Monde moderne. Né en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Située 7 rue Saint-Benoît, la fabrique est agrandie par Albert Quantin qui lui ajoute les numéros 5, 9, et 11. Le développement d'ateliers de reproduction, de taille-douce et de gravure, grâce à l'achat d'un matériel de pointe, lui permet de se spécialiser dans le livre d'art et de s'imposer dans le domaine des ouvrages illustrés de luxe. À sa qualité d'imprimeur il ajoute celle d'éditeur et travaille à la constitution d'un catalogue riche et varié. Dans le domaine des beaux-arts, il édite les œuvres complètes de Manet, Rembrandt, Boucher, Van Dyck ; en littérature, il réunit en de beaux volumes illustrés les œuvres de Balzac, Flaubert, George Sand, Vallès ou Goethe. Associé au célèbre Jules Hetzel, il publie également les œuvres complètes de Victor Hugo. Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ».

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