Cimafunk, la nouvelle vedette de la musique cubaine, révèle dans un entretien ce qui rend sa musique si explosive. Son secret : un mélange des traditions afro-cubaines avec des influences de funk globales.
Cimafunk, c'est « la fièvre qui envahit l'île ». Adolescents, jeunes, vieux, rock’n’rollers, salseros, reggaetonners, peu importe : ses tubes font bouger tout Cuba. Mais qu’est-ce qui rend sa musique si attractive ? La revue musicale AM:PM s’assoit avec le jeune artiste pour un entretien où il révèle les différents styles qui influencent sa musique. Rythmes afro-cubains, musique funk et groove d'afro-beat : ce sont surtout les sonorités afro qui rendent la musique de Cimafunk si explosive et séduisante.
Très rapidement Cimafunk a provoqué l’euphorie du public : avec son afro bien taillée, son look funky années 70, ray bands et vestes à paillettes, une énergie débridée et un énorme charisme, Cimafunk est indéniablement une bête de scène. Son ascension a été fulgurante. Des petits concerts intimes dans les bars « alternatifs » de La Havane où il a débuté, il est passé aujourd’hui aux concerts massifs sur les grandes scènes de l’île. Les gens se bousculent pour le voir. Son hit « Me Voy » s’impose face aux tubes de reggaetón—la musique dominante de la jeunesse cubaine — et commence même à se répandre au-delà des frontières de Cuba.
Quel est son secret ? Ce journaliste de la revue de musique AM:PM souligne le parfait mélange entre le funk et la musique cubaine du chanteur qui, selon lui, « combine parfaitement la basse typique de la musique funk avec le battement propre au rythme du son montuno, ressentant à égalité le groove et la cadence ». Il interroge Erik A. Iglesias, le jeune homme derrière le show-man Cimafunk, pour mieux comprendre sa musique, ses influences et sa personnalité. Intitulé « Je ne veux pas que ma musique soit une alternative », l’article relate l’entretien avec le chanteur où il parle de James Brown, Fela Kuti, ses racines afro-cubaines et nous raconte comment il « recycle » toutes ces influences dans un seul but : faire danser son public.
Voici quelques extraits de l'article, pour comprendre un peu qui est cette nouvelle figure de la musique cubaine :
Qu'est-ce que Cimafunk ?
Cimafunk, c'est un mélange de musique afro-cubaine et de funk, c'est quelque chose qui me ressemble. J'ai réalisé que je me reconnaissais vraiment dans la culture afro-cubaine, c'est pourquoi dans Cimafunk, il y a « cima » qui vient de cimarrón, esclave marron en espagnol, à Cuba cette expression était utilisée pour qualifier les esclaves fugitifs au XVIIIe siècle. Je suis ensuite parti à la recherche d'un lien avec l'histoire de ma famille et j'ai découvert que l'un de mes ancêtres était venu du Nigeria, c'était tout un personnage. Je ne suis pas sûr qu'il ait été esclave mais je sais qu'il est venu à cette époque.
Tu te reconnais dans tout ce qui est afro-cubain ou seulement dans la « culture du marron » ?
Dans ce qui est afro-cubain en général. Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est la culture du marron parce que c'est ce qui me ressemble le plus. À l'époque de l'esclavage à Cuba, il y avait les marrons et les esclaves, et moi je préfère être marron. La musique des marrons a connu des transformations. Tous ces gens qui avaient chacun leur propre identité, leur manière de jouer du tambour, ont tout à coup été amenés à vivre au même endroit, à cohabiter, donnant naissance à une culture différente. C'est cette culture que j'essaye de retrouver.
Je sens déjà que ma musique est dans un entre-deux, qu'elle est différente. C'est la raison pour laquelle j'aime bien ce rapprochement avec les marrons, parce qu'à mon avis, mon travail, ce que je fais, c'est un peu en décalage par rapport à la musique qu'on entend le plus.
En fait, ce que tu produis au niveau artistique va au-delà de la musique ?
Je propose un spectacle, une identité et une invitation à écouter quelque chose de nouveau et à s'ouvrir l'esprit. Il y a un vide au niveau de ce type de musique et le grand public en a besoin.
Quand tu dis « ce type de musique », de quoi parles-tu exactement ?
Je parle de la musique que je fais, un mélange de musique afro-cubaine et de funk. Je ne la qualifie pas de musique « alternative » ou de « fusion ». Je ne veux pas que ma musique soit une alternative, je veux que ma musique soit ce qu'elle est.
Je trouve bien quand tout à coup, cette musique parvient au plus grand nombre, à des gens qui se reconnaissent dans d'autres genres et que ces gens apprennent par cœur une de mes chansons, qu'ils aiment ça. Que mon père, mes tantes ou les gens du quartier puissent kiffer cette musique. Voilà ce que je recherche. Je sens que le fait que ça touche tout le monde, que ça devienne massif, c'est important pour ma musique et pour de nombreuses autres musiques qu'on fait à Cuba.
Je ne veux pas que ma musique soit une alternative, je veux que ma musique soit ce qu'elle est.
Quelles sont les sonorités qui nourrissent Cimafunk, tes références musicales ?
La vieille musique… El Benny [Benny Moré], Arsenio Rodríguez, Rolando Laserie. Dans le cas de Laserie, c'est quelque chose qui me fait halluciner. J'adore ses concerts, sa manière de s'habiller, tout ça. J'ai beaucoup d'autres références d'ici, de Cuba. Par exemple, José Luis Cortés, son œuvre, ses concerts. J'ai toujours pensé « ce mec fait un truc de fou ». Ses vêtements, les musiciens, les chanteurs, sa folie… À chaque fois qu'il faisait quelque chose, c'était une performance super violente, j'ai toujours aimé. Les Van Van… Toute la musique cubaine est de grande qualité.
Oui, mais quand on écoute Cimafunk on perçoit aussi d'autres influences…
Oui, bien sûr. D'un autre côté il y a la musique des États-Unis, la musique du monde, d'Afrique, du Nigéria. Fela Kuti est quelque chose de très fort. Je crois que je suis très influencé par sa musique et par sa manière de concevoir la musique, et par James Brown évidemment. Par tout ce qui vient du funk et qui est devenu la musique pop, le hip-hop, ces tendances viennent de là. Alors ce que je fais, c'est que je mélange ça à ma façon. Ça me nourrit constamment.
Quand on te voit sur scène, on voit tout de suite qu'il y a beaucoup de James Brown dans tes gestes, dans ta manière de danser, dans l'énergie que tu dégages, dans ton image. C'est quelque chose dont tu t'es approprié intentionnellement ou c'est inconscient chez toi ?
Quand tu fais ce genre de musique, quand tu interprètes un funk comme Ando relajao, tout ça, c'est James Brown qui l'a fait, c'est lui qui a écrit les codes. C'est la référence pour ce type de musique, pour moi et pour beaucoup d'autres gens. Tous ceux qui ont fait de la musique populaire, surtout pour la pop du début, le funk, le hip-hop, tous ces gens se sont nourris de James Brown parce qu'on ne peut pas faire autrement.
Pour moi, c'est une fierté d'être associé à un personnage d'aussi important pour la musique internationale. Je me sens proche de James mais aussi de Benny.
Je les copie. Je copie leur musique, je l'étudie, parce qu'en fin de compte la musique est déjà là. Tout ce qu'on fait, c'est recycler et si tu recycles quelque chose de bon tu peux faire quelque chose de meilleur que si tu recycles des artistes récents ; ils ne sont pas mauvais mais ils ont déjà effectué un processus de recyclage.
Ce qu'il y a de mieux, c'est de recycler le produit pur. Je préfère aller chercher loin en arrière, me nourrir de ça pour ensuite le transmettre à ma manière. Ils ont marqué leur époque, ils ont créé quelque chose. Ils sont partis de zéro et boum, ils ont créé quelque chose de génial; nous on fait un remix, tous.
Quel est l'ingrédient musical ou artistique de Cimafunk qui donne envie d'écouter ton groupe ?
Je crois que ce sont les titres et la sincérité de tout le groupe, le plaisir. Quand tu vois le groupe et tu vois ce qui se passe sur scène, ça te gagne. Les chansons sont récentes, on peut danser dessus. Souvent, les textes reflètent la manière de parler d'aujourd'hui. Il y a plusieurs facteurs.
Les gens comprennent les textes parce qu'ils parlent de ce qui leur arrive au quotidien. Mais moi je combine ça à un message à double sens, je parle de choses un peu érotiques mais sans tomber dans la vulgarité. Il s'agit de communiquer avec les mots qu'utilisent les gens, de les refléter […] C'est pour ça que les gens sont sur la même longueur d'onde, on parle le même langage.
Je me retrouve dans l'idée de faire les choses de manière naturelle, d'écrire un texte simplement comme je le sens et surtout en cherchant à le transmettre. Et je le balance tel quel, en fin de compte les gens comprennent et ils peuvent danser dessus. Et quand ils vont voir le concert, ce qu'ils voient c'est que les musiciens et moi, on prend du plaisir. Tu ne peux pas faire une musique faite pour prendre du plaisir et ne pas en prendre, sinon les gens vont dire « tu te fous de moi mon pote » […] C'est pour ça que je kiffe ce que je fais et la manière de le faire. C'est ce que kiffent les gens, les gens veulent se sentir bien.
Le magazine AM:PM est fondé en 2018 par une équipe jeune qui cherche à renouveler les références locales sur la musique cubaine. Leur projet est multimedia, interactif, social et culturel, focalisé sur l’analyse des phénomènes et des scènes musicaux de Cuba. C'est le premier magazine moderne, à adopter un langage contemporain, entièrement focalisé sur la musique cubaine, malgré le fait que celle-ci est un des éléments sine qua non de l’identité nationale. Par principe, leurs publications reflètent les mutations de la musique cubaine et celles qui y sont liées. Il la met en contexte de l’environnement institutionnel cubain aussi bien que de l’industrie globale du spectacle. Il parie pour une rénovation des thèmes et formes du journalisme musical, pour travailler vers une autre façon de comprendre la culture depuis Cuba. Pour ce faire, il prétend développer une plateforme digitale comme espace à partir duquel générer une série de contenus textuels plus traditionnels comme les reportages, les articles, les entretiens en profondeur et les profils, aussi bien que d’inclure des formats plus contemporains. Voir site internet : https://www.magazineampm.com/