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Environnement

Changement climatique et culture du tabac à Cuba

Interview De Nelson Rodriguez, directeur du centre de recherches sur le tabac cubain

Auteur:
Mayasil Morales Perez
Date de publication / actualisation:
26 juillet 2024

Nelson Rodríguez López est le directeur de la Estación Experimental de Estudio del Tabaco (bureau de recherche sur le tabac) de San Juan y Martinez au cœur de la plus importante zone de tabac de Cuba dans la province de Pinar del Rio. Il répond ici à nos questions concernant les effets du changement climatique sur la production de tabac et donc de cigares.

Les études sur le changement climatique et ses conséquences à Cuba ont débuté au début des années 1990. Depuis, des stratégies ont été élaborées pour atténuer l’impact de cette situation sur les différents secteurs de l’économie et des mesures ont été prises pour s’y adapter. Les principaux effets sont causés par l'augmentation des températures, l'élévation du niveau de la mer et l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements météorologiques tels que : précipitations, sécheresses, tempêtes, ouragans, entre autres.

Cubanía : Les effets du changement climatique affectent le monde entier et Cuba n'en est pas exempté. Comment influencent-ils l'agriculture et en particulier la culture du tabac ?

Nelson : Le changement climatique affecte les plantations de tabac de plusieurs manières. On distingue : la diminution de l'amplitude thermique, l'effet de l'ozone troposphérique, l'augmentation des températures, l'augmentation des précipitations et les phénomènes météorologiques tels que les tornades et les ouragans.

L'amplitude thermique fait référence à la différence de température qui s'établit entre les valeurs maximales rapportées dans la journée et les valeurs minimales rapportées dans la nuit. Les conditions optimales pour le meilleur développement des plants de tabac sont lorsque la température dépasse 10° C. Cependant, ces derniers temps, en raison de l'augmentation des températures, les valeurs d'amplitude thermique ont diminué. Par conséquent, les plantes ne se développent pas correctement et elles atteignent une taille plus petite. Cela peut se traduire par une diminution des composés phyto-chimiques et un indice plus faible de leurs métabolites, donc le rendement est plus faible, si ces conditions de faibles amplitudes thermiques durent plusieurs jours. Cette année, par exemple, le mois de janvier a été plus chaud que d'habitude et on a signalé des jours où cette différence ne dépassait pas 2 à 3°C.

À Cuba, la culture du tabac s'effectue pendant la saison hivernale, qui correspond à la saison sèche, et la période est relativement longue puisqu'elle comprend les mois entre novembre et janvier. L'augmentation des précipitations affecte également négativement ces cultures car les plantations sont inondées et si la plante pousse, elle peut être affectée. Mais ce ne sont pas uniquement les pluies intenses qui sont nuisibles aux cultures. Même une légère augmentation de la quantité de pluie durant quelques jours, qui favorise pourtant la permanence d’un sol humide, prédispose à l’apparition de maladies fongiques qui affectent le tabac. Dans le cas de Cuba, on préfère le climat sec, où cette culture se développe le mieux, c'est pourquoi l'irrigation par aspersion mécanique et contrôlable est préférable. Cela ne signifie pas qu’une sécheresse intense soit bénéfique ; elle affecte également les composants et les nutriments du sol, qui sont la source d’énergie nécessaire au développement de la plante.

Les événements météorologiques tels que les violentes tempêtes locales et les tornades n’affectent pas seulement les plantes, ils endommagent également l’ensemble des infrastructures, ce qui entraîne des pertes pour les agriculteurs. La zone occidentale de Cuba est très sujette aux ouragans. Le dernier à avoir frappé la région a été Ian en 2022, les pertes dans les plantations de tabac ont été élevées. Sur plus de 14 000 entrepôts de tabac, seuls quelques centaines sont restés debout, les centres de recherche n'ont pas encore récupéré toutes leurs infrastructures, les équipements perdus n'ont pas été complètement remplacés, même si l'on s'attend à ce que d'ici l'année 2025 tout soit résolu.

Bien qu'il soit le deuxième en importance, l'impact de l'ozone troposphérique, un gaz phytotoxique en l'occurrence, qui provoque des dommages aux feuilles, a été laissé pour la fin.

C : Toutes ces conséquences de l’impact du changement climatique sur les plantations de tabac se traduisent-elles par une diminution des rendements des cultures ?

N : Oui, une partie peut même être perdue. Pour pallier ce problème, les agriculteurs ont mis en place des semis échelonnés, c'est-à-dire une répartition sur toute la période sèche, ce qui, comme on l'a vu, est assez large. Cette mesure permet aux vegueros d'avoir plusieurs stades de croissance chaque saison. La répartition d'une plus grande superficie de terres entre eux a également été encouragée. Si un propriétaire agricole cesse d'exercer son activité ou décède sans avoir quelqu'un pour hériter de ses terres, celles-ci sont remises aux propriétaires des plantations voisines afin qu'ils puissent augmenter leur superficie de plantation.

Vegueros: Personne qui travaille dans les plantations de tabac

C: Que se passe-t-il si un producteur perd la totalité de sa récolte ?

N: Il est très rare que cela se produise en raison de cette manière ou de la planification de la plantation, qui vise à l'éviter. Mais en cas d'événement comme une tornade ou un ouragan, les plantations sont assurées par la Compagnie nationale d'assurance de l'État, chargée de couvrir une partie des pertes économiques des agriculteurs.

C : Vous m'avez dit que les métabolites végétaux et d'autres composés phytochimiques pouvaient être affectés par les effets du changement climatique. Cela se traduit-il donc par des pertes économiques pour le pays ? Cela pourrait-il également signifier une diminution de la qualité des cigares fabriqués avec cette matière première ?

N : En réalité ce n'est pas du tout le cas, c'est vrai qu'il peut y avoir des pertes économiques mais celles-ci impactent plutôt pour les agriculteurs. La méthode de plantation, avec semi-échelonnés, permet aussi de contrecarrer cela car une partie de la récolte peut être affectée mais jamais entièrement. 

La qualité du tabac n'est jamais affectée, pas non plus les fabriques de torcido (fabriques de cigares) puisque toutes les feuilles passent par un contrôle de qualité rigoureux qui va des caractéristiques organoleptiques à la composition chimique de celui-ci afin qu'elle n'interfère pas dans la valeur du produit final qu'est le cigare cubain.

Les systèmes de contrôle de qualité établis dans toutes les phases de la chaîne de production garantissent que la matière première utilisée pour fabriquer les cigares correspond à ce dont ce produit a besoin...

C : À Cuba, le tabac n'est pas seulement cultivé dans la Vuelta Abajo, il existe également d'autres régions où se trouvent des plantations. L’effet du changement climatique a-t-il été le même pour tous ?

N: Les conséquences du changement climatique sont évidentes dans chacun d'eux, ce qui se produit c'est que 60 à 70 % de la production totale de cette culture est concentrée à Pinar del Rio. Le climat est très propice à son développement et c'est là que se trouve la plus grande tradition ; elle est également liée au tabac qui sert à produire certaines marques exclusives.

C: Dans vos commentaires, vous avez montré qu'il existe plusieurs maladies ou ravageurs qui attaquent ces cultures ?

N : Les effets du changement climatique ne se voient pas seulement dans la qualité des plantes, la croissance accélérée de la plante peut être favorisée, ce qui influence également négativement sa composition chimique et il faut procéder au débourrement (enlever les bourgeons desquels sortent les fleurs) pour limiter ce développement. La floraison de la plante nuit à la qualité du tabac.

En revanche, l'augmentation des températures favorise l'apparition, la multiplication et la croissance de ravageurs dont l'élimination s'effectue de différentes manières, parmi lesquelles la lutte manuelle simultanée à d'autres tâches d'assainissement dans les plantations. De son côté, l’excès d’humidité prédispose à l’apparition de maladies fongiques comme la pata prieta (la jambe noire) ou le moho azul (la moisissure bleue).

Les dommages causés par l'ozone sont connus sous le nom de moteado ambiental (marbrures environnementales) ou de manchas de ajonjolí (tâches de sésame), qui se traduisent par des taches de nécrose sur les feuilles. Toutes ces maladies affectent principalement la feuille, ce qui réduit sa qualité et ne peut pas être utilisée comme cape sur les cigares.

C : Les pluies acides affectent-elles également ces cultures ?

N : Les pluies acides à Cuba proviennent des fronts froids qui entraînent les gaz polluants de l'hémisphère nord qui, en tombant, peut provoquer des brûlures aux cultures. Dans le cas particulier des plantations de tabac, ce fait peut être bénéfique car s'il s'agit d'un sol dont le Ph est élevé. L'acidité de la pluie le contrecarre et stabilise les conditions du sol, l'améliorant ainsi et favorisant le bon développement de ces cultures. À Cuba, durant les recherches qui sont menées les éléments acidifiants sont utilisés dans l'eau des rivières pour l'irrigation et les effets positifs sur les plantes. Certaines qualités de sols ont ainsi été confirmées.

C : Enfin, quelles mesures sont prises à Cuba pour s'adapter et faire face à ce phénomène ?

N : Il existe à Cuba un soutien et une volonté politique pour protéger cette partie très importante de l’économie. La mesure la plus importante est le semis échelonné, car cette stratégie permet d’atténuer la plupart des conséquences. L'utilisation de biopesticides pour lutter contre les ravageurs et réduire les conditions de prolifération des maladies sont d'autres mesures prises. La recherche de solutions scientifiques pour réduire les composants nocifs, la formation et la qualification des conseillers des producteurs sont très importantes. Ce sont les principales mesures.

Un autre exemple a été la construction de séchoirs à tabac de conception plus solide et résistants aux attaques des phénomènes météorologiques.

Dans le cas de l'ozone, les côtés du Vegas sont recouverts d'un double tissu appelé rodapie (plinthe) dont la fonction est  réduire la concentration d'ozone lors de son passage à travers le tissu qui favorise sa conversion en oxygène.

traducteur:

Stéphane Ferrux-Bigueur

Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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