Brenda Navarrete, intégrer Cuba dans les musiques du monde
Une révolution des sonorités cubaines et des musiques du monde
Auteur:
Berta Reventós
Date de publication / actualisation:
1 septembre 2022
Avec des racines dans le jazz, les rythmes afro-cubains et la musique traditionnelle cubaine, Brenda Navarrete embrasse également des styles contemporains de World Music. Cette jeune femme, qui a remporté le concours de tambour Bata en 2010 à La Havane, a un esprit et une énergie extraordinaires qui impressionnent dès qu’on la voit sur scène. Cubanía l'a rencontré et elle nous partage quelques secrets...
Dans l’après-midi, nous sommes arrivés dans sa « cachette», elle nous confesse «ce n’est pas chez moi », même si ça y ressemble bien : des tambours résonnants dans le salon, des post-it d’amour sur les murs, quelques bouteilles de rhum sur la table. Elle vient de se lever, elle mange un gâteau au chocolat: « T’en veux ? Tu devrais le goûter, c’est une tuerie » J’en mords un bout. « T’as vu ? ». Elle se maquille pour les photos, on s’assoit. Elle me regarde avec assurance, des étoiles dans le yeux.
Nous sommes avec Brenda Navarrete, l’une des artistes cubaines les plus influentes du moment. Percussionniste, compositrice, opératrice, danseuse et chanteuse. En 2017 elle lance son premier disque, Mi mundo, de ALMA Records, une collection de titres qu’elle a elle-même caractérisé de World Music pour la fusion des genres et des sonorités internationales à partir du folklore afro-cubain. Artiste emplie d’influences différentes, elle donne priorité à la présence de Cuba dans chacune des notes qu'elle chante ou joue. À 28 ans, elle était déjà au top de sa carrière : brillante, active, éveillée, émanant une puissante énergie.
Le show de Brenda Navarrete : un présent de Cuba pour le monde
Brenda a commencé à prendre goût pour la musique à partir de ce que sa grande sœur lui a appris. Celle-ci étudiait le piano classique, et Brenda, toute petite, s’asseyait à ses côtés et tentait de reproduire ce qu’elle écoutait, frappant ses mains sur le sol : « j’étais vraiment hyperactive, mais quand ma sœur s’asseyait sur son banc, c’était comme si on me donnait un calmant ». Ils habitaient le centre de La Havane. Il y avait alors un projet communautaire qui proposait aux enfants un éveil musical : « j’ai d’abord choisi le clavier, et ensuite les timbales. J’étais meilleure en rythme qu’en mélodie... ». Sa sœur l’a encouragé à passer les épreuves de niveau élémentaire en flûte et percussion. « J’ai réussi les deux, mais je n’ai jamais joué de la flûte, c’était trop passif pour moi ».
Et voilà comment elle s’est formée comme percussionniste. Seulement aujourd’hui Brenda est plus « qu’une musicienne, car j’aime le spectacle au-delà de la musique ». À un certain moment elle a eu besoin de s’exprimer avec son corps en même temps, c’est là qu’elle s’est initiée à la danse contemporaine, puis au folklore et à la danse populaire.
Sur scène, Brenda dégage une énergie captivante. Elle est sensuelle et coquette, elle aime séduire son public : « je fais une performance pour faire plaisir et me faire plaisir, j’aime voir les gens ressentir ma musique ».
Au cours de sa carrière, elle est passée par plusieurs projets, comme le groupe d’Alain Pérez, où elle chantait dans les chœurs et jouait du batá ; « je me suis connectée à des projets de salsa, de timba, de jazz, avec le groupe de ma sœur qui faisait du hip hop avec la musique cubaine… et avec Interactivo, bien sûr », où elle a commencé à jouer du güira, avant de passer aux choeurs et désormais, c’est l’une des principales vocalistes. « Interactivo, c’est ma thérapie ».
Concerts d'Interactivo tous les mercredis soir dans le Bertolt Brecht
Pendant longtemps, on la connaissait mieux à l’étranger qu’à Cuba. C’est en 2013 qu'elle décide de créer son propre groupe. « Cela m’attristait que l’on me connaisse mieux ailleurs qu’ici. Je suis percussionniste, les tambours batá sont ma bénédiction. Je veux m’adonner à la percussion tout en étant femme. S’y dédier ne veut pas dire se masculiniser, comme d’autres le pensent. »
En outre, Brenda s’est investie dans le projet communautaire Armonía, où elle anime un atelier de percussions, de chant, et de danse pour enfants et adolescents. « Dès l’enfance, nous devons mettre en lumière tout notre savoir des rythmes traditionnels et folkloriques de notre île ». « Je veux qu’ils puissent se connecter à leurs racines : s’ils sont Cubains ils doivent avoir conscience que nous venons tous de la terre mère : l’Afrique ».
Nourrir Cuba du reste du monde et viceversa
Mi Mundo est le premier album solo de Brenda : « l’idée c’est d’entendre un éventail de sonorités mondiales, en partant de Cuba ». On a vraiment l’impression qu’elle veut tout enlacer, apprendre de partout, faire de son mieux pour nourrir la culture cubaine de toujours plus de diversité. Bien que le folklore reste la base principale de sa musique, elle le fusionne avec « du jazz, du funk, de la musique brésilienne, espagnole... » Elle a « essayé d’intégrer le son et la langue yoruba au monde contemporain ».
Art / Musique
La percussion cubaine, un trésor historique révélé
« Je veux que le monde entier reconnaisse Cuba comme un pays de culture et de diversité ». Pour enregistrer son disque, Brenda a pu compter sur certains des musiciens les plus reconnus du pays, comme Alain Pérez, Rodney Barreto, Roberto Carcassés, Osain del Monte, entre autres. « Ah ça, c’était un casting de luxe » : selon Brenda « les meilleurs musiciens de La Havane ».
Brenda se sent fière puisque « en ce moment, il n'y a rien d'autre qui ait ce son, car ce n'est pas du latin jazz, de la rumba ou du pur folklore : c'est comme si tout cela était assemblé dans un mixeur sans couvercle ».
L’objectif de l’art : changer d’énergie
Brenda parle vite, ouvre grand les yeux, bouge ses mains. Elle est expressive, curieuse et intense. Elle ne tient rien pour acquis, elle ne formule pas de jugements ou de conclusions hâtives.
Mais qu’est-ce qu’elle pourrait bien penser du reggaeton, ce phénomène musical qui a pris une place énorme dans l’industrie musicale cubaine ces dernières années ? « C’est une façon commerciale que les latinos ont trouvé pour créer quelque chose de nouveau. Il existe de nombreuses manières de s’exprimer, certaines sont acceptées et d’autres ne le sont pas. C’était arrivé aussi avec la timba, et quand Irakere a percé, sa musique s’est commercialisée pour toucher un public plus large ».
Contrairement aux musiciens plus « puristes » qui partagent la scène de Brenda, elle ne se montre pas réfractaire au reggaeton : « quand les choses changent, l’être humain approuve ou désapprouve. Mais le changement reste une évolution. Imaginez que le baroque n’ait jamais évolué, à quoi ressemblerions nous aujourd’hui ? On jouerait sur des clavecins. Bien sûr j’ai des préférences, quand j’ai le temps j’écoute de la musique qui me transmet d’autres choses, mais je sens que le reggaeton est une rupture, un changement d’expression et de lexique. Et s’il peut changer l’énergie de quelqu’un et le faire danser, pourquoi pas ?
Timba-thérapie et afroculture
« Si je suis disponible, je vais tous les jeudis à la peña d’Alain Pérez à la Casa de la Música de Miramar – c’est ma timba-thérapie ». Elle adore les matinées, mais « les soirées sont un peu plus chargées » admet-elle. C’est une vraie fan du Sauce, du Brecht et de la Fabrica de Arte, « comme lieux alternatifs, mais si on veut danser le reggaeton ou le timbaton, jusqu’à devenir fou, je conseillerais le bar Mio y Tuyo, et le bar Fantasy, du genre urbain ».
J’adore voyager, mais Cuba c’est mon havre de paix, c'est là que je ressens mes racines…
Elle appréciera un déjeuner ou un diner à Castropol, un restaurant sur le Malecón, parce que « j’ai parfois besoin de respirer l’air de la mer ». En dehors de La Havane, elle recommande de visiter les provinces de Santiago de Cuba, Camagüey, et Matanzas : « c’est des provinces en éveil, elles ont beaucoup d’afro-culture ». Elle se déclare pleinement amoureuse de son pays : « J’adore voyager, mais Cuba c’est mon havre de paix, c'est là que je ressens mes racines…».
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